La littérature des garrigues



Auteur : Philippe Gardy
Date : novembre 2013


En occitan comme en français, la garrigue est longtemps restée une sorte de non-lieu : au mieux on en parle brièvement sans s’attarder. Au XVIII e siècle, l’abbé Fabre, originaire de Sommières, écrit une Enéide de Celleneuve. C'est une transposition occitane joyeuse du poème de Virgile. Il invoque sa “muse de garrigue”, comme il l'avait fait dans son roman Jean l’ont pris, qui se situe autour des villages de Langlade et Solorgues. Mais la garrigue n'y est qu'un arrière-plan dont on ne distingue que quelques éléments épars. Il faut attendre le XIX e siècle pour que la garrigue devienne, sinon un acteur, en tout cas un élément important chez certains écrivains. Le Nîmois Antoine Bigot situe souvent ses fables et ses saynètes occitanes dans les garrigues qui séparent sa ville des premières montagnes cévenoles. Madame Louis Figuier (Juliette Bouscaren), autour de 1860, fait des garrigues héraultaises l’un des éléments majeurs de ses romans “de pays” publiés dans la “Bibliothèque des chemins de fer” de l’éditeur Hachette : ses Fiancés de la Gardiole évoquent les garrigaïres (bûcherons misérables) de ce massif bordant la Méditerranée, tandis que Mos de Lavène fait une large part aux garrigues du nord de Montpellier, autour du pic Saint-Loup, “ces espèces de landes qui ne peuvent pas être défrichées à cause de la quantité prodigieuse de rochers qui s’y trouvent ensevelis”.
Curieusement, mais assez logiquement, c’est au moment où elle se vide peu à peu des activités humaines évoquées par Madame Louis Figuier dans ses romans que la garrigue acquiert le statut de lieu “poétique” et devient le support et le miroir d’un imaginaire renouvelé. Cette reconnaissance s’effectue souvent à travers un regard panoramique, par lequel les garrigues prennent toute leur place entre les étangs du littoral et les premiers contreforts des Cévennes et des Causses, jusqu’à devenir “cette frontière indécise / où les portails de notre nuit / s’ouvrent sur la terre promise” (André Miquel). Chez les romanciers (Gaston Baissette, Max Rouquette) ou chez les poètes (André Miquel, Frédéric Jacques Temple, Rouquette encore), la garrigue tire une partie de sa singularité de cet environnement immédiat qui en souligne la force particulière. Un espace réputé désert, voire hostile, se met à exister de cette situation intermédiaire : le roman de Baissette Isabelle de la garrigue (1968) réalise pleinement la montée vers “la garrigue aveuglante” qu’annonçait L’étang de l’Or en 1945. La mère de l’héroïne, Norine, venue des bords de l’étang s’établir à Neyrargues, dans le Sommiérois, se “laisse prendre peu à peu par sa multiplicité discrète, et la vitalité qui se cachait dans le désert immobile. La garrigue livrait parcimonieusement son charme, qui était à la fois chant et sortilège”.
Ce charme, au sens le plus fort du terme, ce pouvoir d’enchantement et de fascination, avait touché au cœur, dès les années 1930, un jeune écrivain comme Max Rouquette, qui sut le premier nommer et célébrer à leur juste place dans l’occitan de leur vie quotidienne les animaux, les végétaux, les lieux et les hommes des garrigues montpelliéraines pour les élever au statut de figures quasi mythiques. À son exemple, d’autres ont poursuivi, en occitan toujours et au plus près du réel, cette exploration méthodique d’un monde riche de résonances humaines et cosmiques. Les romans de Jean-Frédéric Brun (Septembralas, 1994) ou de Jean-Claude Forêt (Sang e saba / Sang e sève, 2005 ludi) illustrent ce mouvement de réappropriation où contact sensuel avec le monde et constructions imaginaires se rejoignent. Le premier du côté des récits, des légendes et des mythes : “La garrigue est une image de la vie : on y chemine seul. Aussi seul que quand on naît, on souffre, et on meurt.” Le deuxième en faisant des garrigues qui “vibrent sous la fureur solaire” (F. J. Temple) un territoire intérieur, propre à exprimer les hantises et les pulsions des hommes d’aujourd’hui. Une garrigue réaliste à l’extrême, et en cela-même totalement fantasmée.



Cartes et illustrations

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Le souffle

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Hortus

























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