L'eau et la roche calcaire : actions intimes
Auteurs : Michel Bakalowicz et Hervé Jourde
Date : novembre 2013
Un paysage aérien et souterrain spectaculaire, ainsi qu’un système aquifère * complexe, sont nés de l’intimité entre la roche calcaire et l’eau : c’est le karst.
Le karst * est constitué d’éléments superficiels et souterrains qui résultent de la dissolution, par l’eau rendue acide, de roches essentiellement carbonatées (calcaires, dolomies *).
Dans le Languedoc, entre la plaine et les Cévennes, l’abondance des calcaires et des dolomies fait que le karst se manifeste presque partout. Le karst est le support classique de la garrigue.
Les roches carbonatées constituent une famille de roches sédimentaires, pour la plupart d’origine marine ou lacustre. Les carbonates purs, les plus facilement dissous, sont les calcaires, formés de carbonate de calcium, et les dolomies, formées d’un carbonate de calcium et de magnésium, moins facilement dissoutes. Les carbonates impurs, calcaires marneux et marnes, contiennent des matières insolubles, surtout des argiles. Leur dissolution laisse un résidu (donnant les terra rossa en surface) qui, ajouté aux sédiments fins apportés d'ailleurs, colmate les vides créés dans la roche par la dissolution du carbonate et peut empêcher ainsi l’eau de circuler.
L’eau circule sous terre et dissout le calcaire
Deux mécanismes sont à la base de la formation du karst : l’écoulement de l’eau souterraine et la dissolution de la roche carbonatée par de l’eau acide. L’acidité est produite en général par la dissolution du gaz carbonique CO 2 . L’atmosphère terrestre en contient peu (0,03 %), ce qui fait que la pluie dissout faiblement les calcaires. Par contre, la vie dans les sols produit beaucoup de CO 2 qui s’y accumule jusqu’à y être 100 fois plus abondant que dans l’air extérieur. Le CO 2 est très soluble dans l’eau, ce qui permet la dissolution des roches carbonatées en profondeur. Celles-ci sont d'autant plus facilement dissoutes que l'eau est froide. De plus, en circulant, l’eau se recharge sans cesse en CO 2 partout présent dans le sous-sol, maintenant ainsi son acidité et donc son pouvoir dissolvant.
Le karst est d’abord un hydrosystème
Souvent considéré uniquement comme un paysage, le karst est d’abord un hydrosystème, siège de circulations d’eau souterraine. Le réseau hydrographique du territoire des garrigues est peu développé. Il modèle le paysage de surface, mais perd progressivement son rôle d’organisation de l’écoulement et du paysage, au profit d’une circulation souterraine en trois dimensions, au sein de fractures et de conduits de tailles variables. Le karst est donc un aquifère, c’est-à-dire une formation géologique contenant de l’eau souterraine qui circule et s’accumule dans les vides résultant de la dissolution des carbonates.
Le karst se distingue des autres aquifères par les spécificités suivantes :
- • Un réseau de drainage aboutit à des sources Les circulations d’eau créent et modifient les vides en permanence, ce qui a pour conséquence de les organiser en réseau de drainage, qui aboutit à des sources souvent spectaculaires (source du Lez, source du Lirou, source de Sauve, Fontaine de Nîmes, Fontaine d’Eure à Uzès, source d’Arlende, source de Goudargues...).
- • Les galeries dénoyées sont accessibles Les dimensions et la forme de ces vides évoluent avec le temps, au point qu’ils sont en partie pénétrables par l’Homme. Les variations du relief, sous l’effet de la tectonique et des changements du niveau marin, provoquent l’enfoncement ou l’ennoiement des réseaux de drainage. Les grottes (par exemple les grottes de Clamouse, des Demoiselles, de la Cocalière) sont d’anciens réseaux abandonnés, au moins en partie, par les écoulements souterrains.
- • Les circulations souterraines sont complexes L’aquifère karstique se caractérise par une hétérogénéité considérable, tant pour la dimension de ses vides (de quelques micromètres à plusieurs kilomètres) que pour les vitesses d’écoulement de l’eau (de quelques mm/jour à quelques km/h).
- • Les sources ont un débit très variable Le débit des sources varie beaucoup selon la saison, de quelques centaines de litres/seconde en étiage* à 15 à 20 m 3 /s en crue pour la source du Lez ou celle du Lirou, par exemple.
Doline, poljé, ponor, lapiaz, aven... les mots pour décrire le karst
En surface, le paysage karstique présente des dépressions fermées, de quelques mètres à plusieurs kilomètres, généralement jalonnées de zones favorables à l’absorption rapide de l’eau. Les dolines, les plus petites de ces dépressions, s’ouvrent parfois sur une grotte, un gouffre (ou aven) qui peut absorber une partie de l’eau de pluie. Les plus grandes de ces dépressions, les poljés, reçoivent des volumes d’eau importants, provenant de rivières s’écoulant sur des terrains imperméables, qui sont ensuite absorbées par des pertes ou ponors dans le calcaire, le plus souvent localisés en périphérie. Lorsque la roche est nue, les fractures initiales apparaissent plus ou moins élargies, créant des lames, des pitons, des couloirs ou simplement des rainures plus ou moins profondes : c’est le lapiaz. Le lapiaz est un excellent piège qui retient le sol et les sédiments apportés éventuellement par les ruissellements et les vents.
La garantie d’eau en surface : l’épikarst
Dans sa partie superficielle, le karst présente une zone particulière, pouvant atteindre quelques dizaines de mètres d’épaisseur, à la fracturation plus marquée et aux vides élargis en profondeur : c’est l’épikarst. L’épikarst joue un rôle essentiel en distribuant l’eau de pluie, puis l’eau d’infiltration rechargeant l’aquifère. Le maintien du couvert végétal et du sol, et donc de la diversité biologique, en dépendent aussi fortement. À la base de l’épikarst, la réduction des vides et des fractures diminue la capacité de transfert et donc d’infiltration vers les zones sous-jacentes, ce qui permet un stockage d’eau peu profond, mais discontinu et hétérogène. L’épikarst est en effet “percé” par des conduits verticaux, gouffres et grandes fractures, qui drainent ses débordements lors de la recharge. La réserve d’eau superficielle de l'épikarst était utilisée jadis, comme en témoignent des puits-citernes abandonnés, jalonnant certaines drailles* des causses ou pris dans les murs de pierres sèches. Cette réserve d’eau souterraine est aussi, et d’abord, le lien entre les communautés vivantes de surface et souterraines : des animaux épigés* s’adaptent progressivement au milieu souterrain qu’ils colonisent. C’est aussi là que les populations souterraines trouvent en abondance leur nourriture.
Le karst est un milieu particulièrement sensible aux activités humaines
Les sols, en général peu épais et discontinus, sont très sensibles à l’érosion, en particulier en région méditerranéenne, où les précipitations sont parfois très violentes. Le déboisement, le pâturage par les moutons ou les incendies favorisent grandement cette érosion, qui empêche ensuite la végétation de se développer. Ainsi ces paysages dénudés et secs ne résultent que des actions de l’Homme et non pas de l’érosion karstique.
Les vides larges et les grandes vitesses d’écoulement sont à l’origine du transfert rapide et sans dilution ni filtration des polluants jusqu’aux sources. Le défrichement et les incendies favorisent l’érosion des sols, qui se reconstituent très mal ou même pas du tout. L’imperméabilisation, par l’urbanisation et les routes, favorise la concentration de l’eau et, donc, l’infiltration rapide au détriment du stockage réparti dans l’épikarst et de la recharge lente de l’aquifère. Inversement, ces caractères défavorables, liés aux écoulements rapides, permettent à l’aquifère de “récupérer” facilement et rapidement dès que les conditions initiales sont rétablies (arrêt des pollutions, effets du ruissellement de surface compensés, reconstitution du couvert végétal, etc.).
Commentaires [Cacher commentaires/formulaire]
Ajouter un commentaire à cette page: