Biodiversité et histoire d'un milieu naturel
Auteur : Bertrand Schatz
Date : novembre 2015
La région méditerranéenne : point chaud de biodiversité planétaire
Le territoire des garrigues gardoises et héraultaises constitue un espace emblématique de la zone méditerranéenne française. La région méditerranéenne dans son ensemble, est l’un des 34 points chauds planétaires de biodiversité, c’est-à-dire une des zones mondiales ayant les plus fortes concentrations d’espèces végétales et animales ainsi qu’un fort taux d’endémisme*. Cette très grande richesse en espèces s’explique notamment par la très grande diversité d’habitats *, ainsi que par l’histoire de la faune et de la flore. Lors des épisodes glaciaires du Quaternaire (entre – 2,6 millions d’années et – 12 000 ans), les aires de distribution des espèces tempérées ont été repoussées vers le Bassin méditerranéen qui a servi de refuge. Durant les phases interglaciaires chaudes et humides, les limites de répartition sont remontées vers le nord, mais certaines populations isolées ont subsisté en zone méditerranéenne et ont évolué indépendamment de leurs congénères nordiques. Ainsi la région méditerranéenne représente seulement 1,6% de la surface terrestre, mais concentre 10% des espèces végétales de la planète.
Diversité génétique, d’espèces, d’habitats...
Depuis une vingtaine d’années, le mot consacré pour décrire cette richesse est “biodiversité”, contraction de “diversité biologique”. Il doit être compris dans son acception la plus large (variation de toutes les formes du vivant) qui intègre différents types de diversités : la diversité génétique au sein d’une même espèce, la diversité en nombre d’espèces et en quantité d’individus de chacune des espèces pour un même habitat, la diversité d’habitats pour un même écosystème * et la diversité d’écosystèmes ou de paysages pour une même région biogéographique. Par exemple, la biodiversité peut être étudiée au sein d’une espèce d’orchidée ou de papillon, parmi la liste des orchidées et des papillons présents dans une pelouse sèche, cette pelouse sèche n’étant qu’un des écosystèmes des paysages méditerranéens.
Des interactions entre espèces
Ces listes à différents niveaux ne doivent pas faire oublier la multitude des interactions existant entre espèces : pollinisation, dispersion des graines mais aussi parasitisme, prédation, etc. Des orchidées sont ainsi dépendantes de la présence de papillons ou d’abeilles pour leur pollinisation et de certains champignons pour leur nutrition. Le Circaète Jean-le-Blanc dépend de la présence des reptiles. Les Lucanes cerf-volant de la présence de vieux chênes pour y pondre leurs œufs. Les exemples d’interactions entre espèces peuvent être multipliés à volonté. Ils illustrent la richesse d’un écosystème et démontrent l’interdépendance des espèces.
Des interactions entre les espèces et les milieux
La diversité des habitats est également essentielle pour bon nombre d’espèces. Le Hibou grand-duc et l’Aigle de Bonelli ne seraient pas présents en garrigue en l’absence de milieux rocheux. Là aussi, de multiples exemples pourraient être cités pour illustrer cette interdépendance entre les espèces et les habitats auxquels elles sont associées et dont elles contribuent au fonctionnement.
Les garrigues : des interactions entre des espèces, des milieux et des Hommes
Le territoire des garrigues est également marqué par les chemins croisés entre la richesse naturelle des espèces et des milieux et la présence ancienne de l’Homme qui a modelé ces milieux selon ses besoins et selon l’augmentation continue de sa population. En chassant les gros mammifères, en faisant brouter les troupeaux, en cultivant des végétaux, en ouvrant le milieu, en le fragmentant par l’installation de murets séparant des zones à vocations agricoles ou naturelles différentes (la célèbre trilogie ager, saltus, sylva = culture, parcours, forêt), l’Homme a fortement influencé son environnement au point que l’on doit considérer le territoire des garrigues comme un paysage construit. Ce fort impact anthropique* représente ainsi un facteur important d’évo- lution des espèces. L’ouverture des milieux par le pastoralisme a par exemple favorisé des adaptations permettant à des plantes d’éviter la dent de la brebis (décalage de floraison, présence d’épines, port plaqué au sol...). Certaines espèces sont même spécifiques de ces milieux ouverts, alors que d’autres comme les rudérales* sont associées aux zones agricoles travaillées par l’Homme. Certaines espèces exotiques animales et végétales qu’il a importées se sont imposées face aux espèces locales. Cela nous vaut aujourd’hui la présence par exemple d’espèces messicoles* introduites au Néolithique depuis le Proche Orient, telles que le Coquelicot (Papaver rhoeas), l’Ibéris (Iberis pinnata), le Bleuet (Cyanus segetum), le Miroir de Vénus (Legousia speculum-veneris)...
Une histoire ancienne et une dynamique toujours en cours
La garrigue est ainsi un système dynamique en constante évolution, riche de sa situation méditerranéenne pour son climat, sa géologie et son foisonnement d’espèces mais aussi particulière par son histoire marquée par un impact anthropique ancien. Retraçons l’histoire de la garrigue de son origine à nos jours.
L’apparition de la végétation méditerranéenne s’explique d’abord par des facteurs climatiques. L’étude du pollen et des restes de feux anciens, couplée à l’étude actuelle d’espèces relictuelles, a permis de reconstituer l’histoire ancienne des espèces dominantes des paysages régionaux. Ainsi, il y a 5 millions d’années, le climat est chaud et humide. Co-existent alors arbres subtropicauxet méditerranéens tels que le Séquoia (Sequoia sempervirens), le Cyprès chauve (Taxodium distichum), le Ginkgo (Ginkgo biloba), Oliviers (Olea europaea), Chênes verts (Quercus ilex), filaires (Phillyrea sp.) et nerpruns (Rhamnus
sp.) sont déjà présents mais en très faibles proportions.
Entre 3 et 2,6 millions d’années, un refroidissement progressif est observé. Le climat devient tempéré voire continental. Cela se traduit par la diminution progressive jusqu’à une disparition quasi totale des espèces subtropicales.
Le quaternaire (de 2,6 millions d’années à nos jours) est constitué d’une succession de périodes glaciaires et interglaciaires. Il y a environ 1,8 millions d'années, le climat général va évoluer avec une saisonnalité de plus en plus marquée amenant à la mise en place du climat méditerranéen.
Durant les périodes froides, la végétation est composée de toundra * de forêt de pins (sylvestre - Pinus sylvestris - et de Salzmann - Pinus nigra subsp. salzmannii) et de bouleaux (Betula sp.) ainsi que de vastes steppes. En période interglaciaire, on observe des forêts de chênes caducifoliés*. Même dans les périodes les plus froides, le Chêne vert ne disparaît pas. Il se maintient dans les zones les mieux exposées comme les bas de falaises orientées au
sud. À la fin de la dernière ère glaciaire, vers 10 000 ans avant nos jours, le Pin sylvestre et le Bouleau disparaissent progressivement. Le climat devient tempéré à forte tonalité méditerranéenne. Le Chêne pubescent (Quercus pubescens) est l’arbre dominant. Les arbustes de la garrigue (cistes, alaternes, amandiers...) se développent fortement. C’est vers 6 000 ans avant nos jours que l’impact de l’Homme commence à se manifester sur la végétation,
avec une très forte augmentation du Chêne vert et l’apparition de l’Arbousier.
A partir de cette période, l’Homme commence à modifier le paysage. Il coupe et brûle la forêt pour développer l’agriculture et l’élevage. Il se sert du bois comme combustible pour ses nombreuses activités. La croissance de la population accentue le phénomène. La forêt de Chênes pubescent recule. Le Chêne vert est favorisé. Les espèces non forestières dites de milieux ouverts se développent.
Le recul de la forêt atteint son paroxysme vers les XVIII e et XIX e siècles. Une preuve contemporaine de cette exploitation intensive des forêts à cette époque est l’absence actuelle de forêts très anciennes qui n’existent qu’aux confins du territoire des garrigues : forêt de Chênes verts dans les gorges d’Héric, Chênes blancs à Païolive (toutes deux naturelles et d’environ 250 ans), ou encore forêt de la Chartreuse de Valbonne.
Depuis le début du XX e siècle, l’Homme a changé radicalement ses activités, ce qui l’a conduit à migrer vers les villes. Cet exode rural s’est traduit en garrigues par un abandon des terres et une fermeture des milieux (retour des friches permettant l’installation de jeunes forêts).
Les enjeux actuels des garrigues
Deux dynamiques majeures sont en cours aujourd’hui sur le territoire des garrigues. D’une part, une extension forestière et, d’autre part, une extension urbaine. Ces évolutions impactent inévitablement sur la biodiversité et le patrimoine naturel et posent un certain nombre de questions.
L’extension forestière réduit la présence des espèces de milieu ouvert et favorise la fermeture des espaces au détriment de la bio- diversité typiquement méditerranéenne.
L’extension urbaine, quant à elle, interroge sur les risques d’artificialisation des sols, la destruction directe d’espèces et d’habitats * et la fragmentation des milieux.
Ces dynamiques s’inscrivent également dans un contexte de changements planétaires. On regroupe sous ce vocable les changements climatiques (augmentation de la température, réduction des précipitations, événements extrêmes plus fréquents), les modifications de pratiques agricoles et d’utilisation des sols, différentes pollutions de l’air, de l’eau et des sols, ainsi que l’arrivée d’espèces exotiques, parfois envahissantes, favorisée par l’intensification des échanges commerciaux.
Le défi du développement durable en garrigues est donc de concilier la conservation de la richesse naturelle en espèces et en habitats face à ces changements (dynamique récente de fermeture et de fragmentation des milieux, dérégulation de cet écosystème méditerranéen, arrivée des espèces envahissantes...) et aux modifications importantes des activités humaines (changement des pratiques agricoles, augmentation de la population associée à une urbanisation forte).
Relever ce défi peut passer notamment par :
- une large diffusion de la connaissance de la richesse naturelle et culturelle de ces garrigues au travers par exemple d'actions d’éducation à l’environnement, de sciences participatives, etc. ;
- l'acquisition de connaissances scientifiques sur les variations récentes de l'environnement. L’importance des pressions anthropiques et des effets des changements globaux auxquels sont soumis les garrigues, et plus généralement le bassin méditerranéen, rendent urgent le besoin de connaissances permettant notamment d’établir des stratégies pertinentes de conservation ;
- l’utilisation optimale des outils de protection et de conservation des espaces et des espèces, activés au sein d’un projet de territoire fédérateur ;
- la mise en place d’actions d’aménagement et de gestion des garrigues, menées par des collectivités, favorisant par exemple le pâturage sur parcours dans la lutte contre les incendies.
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