L'espace de Max Rouquette
Auteur : Jean-Paul Volle
Date : novembre 2013
La garrigue s’offre à qui veut en saisir toutes les forces, les secrets, les silences et les bruissements dans les ouvrages de Max Rouquette. Dans
sa quête d’un monde perdu, Max Rouquette demeure témoin, explorateur inassouvi de ses mystères, poète inspiré de la garrigue et de ses horizons, de ses hommes, de son être jusqu’à cette dimension “cosmique” de réinvention tragique du monde et de l’humain. La garrigue, ce lieu de grand silence et de grand passage, “d’une extrême dureté... enfer plutôt que paradis, où les hommes vivent isolés, hors du monde, dans des îlots : mas, villages recroquevillés autour d'un clocher” reste mystérieuse et secrète, havre de solitude et source d’inspiration, un espace cosmique de la condition humaine où “les hommes vibrionnants dérangent, par leur propre chaos, l'ordre de la nature...” (1) . Pour Rouquette, ce théâtre de la nature, de pierre et de lumière, aux ombres profondes mais localisées, celle d’un figuier= “où la lune n’a pas droit de pénétrer”, là où se construisent les accrocs de la vie quotidienne, reste un milieu aride et sec, dépouillé et misérable, mais riche d’humanité. Le poète sait y découvrir cet “univers souvent d'une beauté à vous couper le souffle - à condition de ne pas confondre pittoresque et beauté - mais portant au visage la croix de l'assigné. Une lumière de l'Eden traversée des reflets blafards de l'abandon” (1981) et nous révéler dans Le tourment de la Licorne, toute la puissance initiatique de cette terra incognita dans le secret “de l’ombre des térébinthes, maigre et bleue, (des) pierres bleues lavande, (de) l’herbe sèche, (de) l’air immobile pétrifié” (L’été) avec “le micocoulier image d’éternité” (L’épine).
Toutes les figures de la garrigue se retrouvent chez Rouquette, hommes courbés et solitaires, lieux enchantés et déserts d’une rare cruauté tant elle exige d’efforts et de sacrifices pour que l’on puisse en percer les secrets, qu’ils soient ceux de l’herbe, de l’ombre, du soleil ou de la plume qui vole (Verd Paradis). Serait-elle alors ce “laboratoire où s’inventent les enchantements (qui) doit rester secret”, ce pays de “sentinelles moins hautaine(s) que solitaire(s)”, “un cadre somptueux... où convergent le temps et l’espace” (2) , source d’inspiration et de création pour Rouquette qui ne cesse d’y lire et d’y transcrire ses rêves et ses entendements des hommes et des choses. Les étendues sauvages des garrigues d’où s’effacent peu à peu les traces de la vie traditionnelle, forment un monde unique et fragmenté, de l’errance et de la fixité, d’absences et de regrets. Garrigue, frontière du désert, toute de discrétion lorsque “l’églantier se cache derrière ses épines” et dont l’univers de pierre dévoile sa pureté :
“Pierre que nul regard ne toucha,
Pierre qu'aucune main ne prit.
Pure de tout regard, de tout penser,
Vierge de toute connaissance des hommes”
(Pèira, D'aicí mil ans de lutz).
Magie de l’écriture ! Comment mieux penser et se représenter ces paysages colorés et odorants, ces villages resserrés, ces vastes étendues aux forêts hésitantes, aux pacages buissonnants, ces terres rouges aux vignobles devenus de qualité et tous ces héritages qui disent le labeur des hommes et leurs conquêtes passées. Les images s’imposent, les trajectoires divergent quand la garrigue, ouverte et nouvellement conquise, s’offre aux envies de forces urbaines en quête d’établissement.
1. Dominique Aussenac, La garrigue pour cosmos, Le matricule des anges, N° 19, mars-avril 1997.
2. La force souterraine du chant occitan par Philippe-Jean Catinchi, Le Monde des livres.
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