Auteur : Manuel Ibanez (d'après les travaux de Louis Trabaud et Roger Prodon
Date : novembre 2013
Passé le traumatisme de la violence d'un feu qui, en quelques heures seulement, modifie radicalement le paysage connu et familier depuis des années, se pose la question de la suite. Comment les écosystèmes * méditerranéens répondent-ils à cette brutale perturbation ? Quelles sont les conséquences à moyen et long terme du passage d'un feu sur la flore, la faune et les paysages ?
La réponse de la végétation aux incendies
Plusieurs études portant sur la dynamique de la végétation après incendie ont été réalisées sur le territoire des garrigues gardoises et héraultaises. Les suivis ont été effectués sur des périodes longues de 10 à 12 ans dans différents types de milieux : taillis * de Chêne vert, pinèdes, matorrals*...
Il apparaît globalement que la végétation méditerranéenne se régénère rapidement. Ainsi, 100% des espèces présentes avant l'incendie sont réapparues 5 ans après l’événement. L'écosystème tend donc à se renouveler à l'identique.
L'évolution de la richesse floristique suit un même modèle quel que soit l'espace étudié. On observe ainsi trois phases distinctes :
- les 4 à 5 premiers mois après l'incendie, très peu d'espèces sont recensées ;
- puis la richesse floristique augmente de façon très importante atteignant son maximum au bout d'un ou deux ans. Cela s'explique par un développement important d'espèces annuelles héliophiles* qui colonisent les espaces laissés momentanément vides par le feu ;
- enfin, le nombre d'espèces diminue fortement jusqu'à se stabiliser vers la 5 e année à sa valeur d'avant l'incendie.
La structure de la végétation se recompose peu à peu, des strates herbacées vers des strates buissonnantes puis arborées selon les
vitesses de croissance des différentes espèces (1) .
Chêne vert et Chêne pubescent résistent bien au feu. Ils produisent très rapidement des rejets à partir de la souche brûlée, ce qui leur permet de rester présents sur le milieu en même nombre. Néanmoins, la répétition de feux rapprochés dans le temps ralentit peu à peu leur vitesse de croissance.
Le cas particulier de la pinède de Pin d'Alep
Le Pin d'Alep est une espèce particulièrement inflammable. Les incendies sur ces milieux sont craints du fait de la puissance dégagée par les fronts de feu. L'énergie potentielle est maximale en futaie dense de Pins d'Alep : comprise autour de 225 kJ/ha pour une garrigue basse de Chênes kermès, elle atteint 785 kJ/ha sous pinède (CEMAGREF in Grelu, 2011) (2).
Néanmoins, la régénération des pinèdes de Pins d'Alep après incendie est particulièrement rapide, importante et uniforme. Elle s'explique d'une part par l'importante pluie de graines provenant de sources différentes (ouverture des cônes par le passage du feu, graines enterrées dans le sol et celles provenant d'individus présents en lisière ou ayant résisté à l'incendie).
D'autre part, c'est une espèce héliophile à croissance rapide qui colonise particulièrement rapidement les espaces ouverts après le feu. La densité de pins s’accroît jusqu'à un maximum atteint entre la 5 e et la 15 e année puis semble décroître à cause de la compétition inter et intra-spécifique.
La garrigue à Chêne kermès et le feu
Cette formation végétale très dense a une très grande résilience au feu. En effet, le réseau racinaire (3) du Chêne kermès lui permet de reconquérir rapidement les zones brûlées. La composition floristique reste inchangée après le passage d'un feu et la masse végétale (4) peut se reconstituer en un ou deux ans seulement. Un passage répété de feux (environ tous les deux ans) en automne pendant une période de près de vingt ans peut entraîner un changement de structure de la végétation avec une augmentation de la masse herbacée et une diminution de la strate arbustive. Cette caractéristique était particulièrement bien connue par les bergers dont la gestion des pâturages par le feu avait pour objectif de favoriser les herbages et de faire reculer le chêne kermès. Les paysages du Causse d'Aumelas sont démonstratifs de ce lien entre pâturage des moutons, gestion par le feu et dynamique des garrigues à Chêne kermès.
Impacts sur la faune
La mortalité directe de la faune lors du passage d'un incendie est très complexe à estimer tant les comportements et les stratégies face à ce type de perturbation sont diverses selon les espèces et leur milieu. Cette mortalité directe, difficile à mesurer, est rarement totale, et peut être modeste selon les groupes. La mortalité indirecte, ou différée, résultant de la modification brutale de l’habitat *, est très difficile à distinguer de l’émigration définitive.
Néanmoins, ce changement dans la structure de l'écosystème durant les mois et les premières années qui suivent un incendie peut être favorable à un certain nombre d'espèces qui vont pouvoir coloniser des milieux qui leur conviennent. Ainsi, chez les oiseaux, les espèces qui nichent au sol ou dans les rochers tels que les traquets, les alouettes, les bruants ou les pipits, bénéficient d'une augmentation de leur milieu de prédilection, leurs populations sont donc favorisées par le passage d'un feu. Les espèces liées à la strate buissonnante comme les fauvettes disparaissent dans un premier temps puis recolonisent rapidement ces espaces au fur et à mesure de la repousse des ligneux *. Les espèces forestières répondent de façon variable à la modification du milieu : une disparition prolongée (près de 10 ans pour les roitelets ou le Rouge-gorge), ou la fréquentation continue de la forêt brûlée (comme les mésanges ou les pics).
Le temps nécessaire pour que la faune revienne à l'état qui précédait le feu dépend du type de formation végétale initial. Ainsi, pour l'avifaune *, le retour à l'état initial prend un an lorsque c'est une pelouse qui a brûlé, 6 ans pour une garrigue buissonnante et environ 40 ans pour une forêt de chênes verts.
Les réponses très différentes, quelquefois contradictoires, des espèces animales à l'incendie montrent la complexité du phénomène. Il est alors difficile de porter un quelconque jugement, ni catastrophiste ni optimiste, sur l'impact du feu sur la faune de nos garrigues. La perception qu'on se fera du phénomène dépend des indicateurs qu'on se donne pour évaluer cet impact. Ainsi, si on prend pour critère les espèces inscrites au livre rouge des espèces menacées de France, on observe que nombre d'entre elles sont liées aux espaces ouverts où les caractéristiques méditerranéennes sont exacerbées. On peut dès lors considérer que le passage d'un feu va, au moins temporairement, favoriser ces espèces dites patrimoniales. Néanmoins, il existe deux exceptions d'espèces patrimoniales particulièrement menacées par les incendies : il s'agit de la Sitelle corse (Sitta whiteheadi) qui comme son nom l'indique ne se trouve que sur l’île de beauté et la Tortue d'Hermann (Testudo hermannii) dont les dernières populations de France continentale sont restreintes au département du Var.
Si l'on prend comme indicateur la richesse spécifique, on observe donc, selon les groupes, une diminution ou une augmentation temporaire du nombre d’espèces, tant au niveau de la faune que de la flore durant les quelques années qui suivent un incendie pour ensuite se stabiliser à l'état initial d'avant le feu.
Le feu et le paysage
Nous avons vu que le feu, quelque spectaculaires et traumatisants que soient les incendies dans nos garrigues, ne peut pas être considéré comme une “catastrophe écologique” en soi. Le feu, en effet, a été longtemps l’instrument principal d’une gestion optimale d’un milieu, certes peu productif, mais pourvoyeur de nourriture et d’énergie. Les communes possédant de grands espaces de garrigues étaient autrefois des communes riches. L’arrivée, dans les années 1950, d’une énergie à bon marché, le pétrole, a ruiné les “petits métiers” de la garrigue et a fait place, peu à peu, à la forêt. Or pour chacun de nous, la nature “naturelle” est celle de notre enfance. La défriche d’un espace de garrigues abandonnées depuis les années 1950 scandalise aujourd’hui nos contemporains au nom de l’écologie. Or, dans la mesure où un vignoble remplace une pinède ou un boisement de chênes verts, une “rupture de combustible” est installée qui servira efficacement de coupe-feu. Tout cela est affaire de sentiment plutôt que de raison.
Reste aujourd’hui à savoir que faire de nos garrigues pour répondre au mieux à la demande sociale et pour éviter les incendies d’autant plus dévastateurs qu’il y a moins de “ruptures de combustible”. Une mosaïque de formations végétales d’âge ou de peuplement différents est plus favorable à la biodiversité qu’une forêt continue et à une certaine demande sociale (promenade, tourisme) qu'un grand espace homogène et monotone, pour autant que les éléments de cette mosaïque respectent la maille propre à chaque milieu. Les perturbations (agriculture, incendies) ne sont donc pas forcément néfastes à l'échelle d'un paysage à partir du moment où elles permettent de rajeunir certaines formations végétales. De la fréquence des incendies sur un même lieu dépendront essentiellement les risques importants d'érosion des sols notamment sur les zones à fortes pentes et les difficultés de la végétation à retrouver son état initial.
Pour la gestion des surfaces brûlées, il est courant de proposer un reboisement des espaces dits "dégradés" ; au-delà du coût de cette opération, le reboisement a montré certaines limites. Du point de vue de la biodiversité, les espaces ouverts par le feu sont beaucoup plus riches que des espaces boisés. De plus, le choix portant sur des résineux et notamment des pins, espèces particulièrement inflammables, augmente le risque incendie pour les années futures. Enfin, il a été démontré que la régénération naturelle d'espèces arborées indigènes est plus efficace dans le temps pour reconstituer un milieu forestier.
(1). L’allure paradoxale de cette courbe qui montre une brusque augmentation de la biodiversité végétale après un incendie s’explique facilement par le phénomène d’ouverture du milieu : les espèces héliophiles (littéralement qui “aiment le soleil”), annuelles ou vivaces, sont dotées d’un grand pouvoir de dissémination (semences souvent ailées, par ex Pissenlit) et s’installent rapidement. Par la suite, les espèces vivaces capables d’atteindre des dimensions importantes occupent l’espace et font de l’ombre aux premières : le cortège végétal s’appauvrit pour se stabiliser au bout de 8 à 9 ans. La forêt est désormais en place, jusqu’au prochain incendie.
(2). kJ : kilojoule : unité quantifiant l'énergie ou le travail au sens des sciences physiques.
(3). Le Chêne kermès développe par ailleurs de véritables branches souterraines, d’où partent des rameaux dressés au-dessus du sol.
(4). Le Chêne kermès est si bien adapté au feu qu’il conserve vivante sa partie souterraine. Il repart aussitôt après le brûlis, occupant tout l’espace. Une des façons de le réduire consiste à enrichir le sol pour favoriser des espèces plus exigeantes qui finissent par l’étouffer.