Auteur : Olivier de Labrusse
Date : novembre 2013
Pour l'essentiel, le foncier des garrigues s'est construit dans le contexte de la “longue durée historique†de l'Antiquité romaine au Moyen Âge et jusqu'au milieu du XIX e siècle.
L'héritage actuel des cadastrations antiques
Pour les spécialistes de l'Antiquité, le poids des “centuriations†(découpage orthonormé* de l'espace) et du parcellaire qui en découle peut parfois être considérable. Dans certains secteurs, comme à l'extrémité sud du Causse d'Aumelas, 80% des limites parcellaires seraient d'origine romaine.
Le “cadastre d' Orange†: l'aire des Côtes du Rhône et de la Vallée de la Cèze
Sur ces plaques, dans chaque “centurie†(des carrés d'environ 710 mètres de côté sur le terrain) étaient gravés le nom des propriétaires ou locataires, la superficie des terrains, le montant de l'impôt foncier. Le découpage des parcelles était régulier dans ces centuries, généralement sous forme de carrés, exceptionnellement de rectangles. L'un des trois cadastres, confronté aux limites actuelles des parcelles ainsi qu'aux fossés et au réseau viaire est encore de nos jours décelable. Ce cadastre s'étendait, pour partie, sur la rive droite du Rhône, correspondant environ à l'aire des Côtes du Rhône et dans la vallée de la Cèze.
Les cadastrations des vallées de l'Alzon, du sillon de Montbazin, de la Vaunage
D'autres signes de ces cadastrations romaines ont été identifiés par les archéologues : la vallée de l'Alzon (entre Uzès et Collias), le sillon de Montbazin (plaine de Fabrègues), la Vaunage. Dans le cas de la vallée de l'Alzon, les vestiges de limites foncières se situent non seulement dans la plaine, mais, également, dans certains secteurs de reliefs, comme les garrigues de Sanilhac.
Dans le sillon de Montbazin, traversé par la voie Domitienne, reliant l'Italie à l'Espagne, l'espace foncier était organisé également par la cadastration romaine. Comme dans le cas de Sanilhac, les basses pentes nord du massif de la Gardiole (à Gigean) étaient parcellisées, comme sembleraient en témoigner les nombreux murs de garrigue encore existants.
En Vaunage, trois cadastrations, avec des centuries de 707 m x 707 m, ont été mises en place, sur différentes parties de la zone, à des dates différentes.
Cette organisation du parcellaire foncier et des villae va persister, en grande partie, durant l'Antiquité tardive et le Haut Moyen Âge, jusqu'aux X e et XI e siècles. Par exemple, en 913 le chapitre de Nîmes acquiert des parcelles encore de forme carrée, pour une terra laborativa de 50 dextres de côté (environ 200 mètres) ou rectangulaires (280 m sur 48 m, 240 m sur 32 m). En 918, une terra vacua de 520 m sur 100 m est acquise du côté de Saint-Côme-et-Maruejols, en Vaunage.
Principe schématique d'organisation du terroir en plaine, selon les cadastrations romaines.
Les fluctuations du foncier au Moyen Âge et aux Temps modernes, jusque vers 1850
La réorganisation des terroirs et des parcelles au Moyen Âge.
Au XI e siècle, la généralisation de la féodalité et le mouvement de création des châteaux-forteresses, l'incastellamento, avec des déplacements de villages, va réorganiser le foncier : la propriété libre, l'alleu disparaît ; toute propriété est dans des liens de dépendance, d'hommage, de vassalité, du simple tenancier d'une tenure au mesnager d'un manse, qui deviendra un mas, les villae et leur organisation ayant disparu. Le parcellaire orthonormé est en partie recomposé autour des castra (châteaux, villages fortifiés), avec un réseau de voies en étoile, créant des parcelles plus irrégulières, triangulaires ou trapézoïdales.
L'évolution du foncier durant la longue trame historique qui mène de la fin de l'Empire romain au milieu du XIX e siècle est marquée de diverses fluctuations historiques (voir schéma ci-dessous).
Les limites respectives de terroirs cultivés (ager), forestiers (silva), pâturés (saltus) ne vont cesser de fluctuer, selon les périodes de croissance ou déprise démographique, et selon les usages prioritaires à tel ou tel moment.
Le mécanisme général est le suivant :
• en période de décroissance démographique (épidémies, guerres, “petit âge glaciaireâ€), le peu de population se replie sur les seules meilleures terres de l'ager en plaine. Cependant certaines parcelles en plaine, moins intéressantes, sont abandonnées et retournent à la friche (les
hermes). Sur les reliefs, les terres précédemment défrichées, (rompudes*, artigues, bouzigues, essarts) sont délaissées également. Elles redeviennent des vacants, des hermes susceptibles d'être pâturés (les patus) ou de s'enforester et devenir des bois ou forêt (boscs, silva).
• inversement en période de croissance démographique (paix, amélioration climatique, stimulations économiques externes), le besoin de terres s'accroît pour la nourriture de subsistance que sont les bleds (céréales, au mieux du froment, au pire du seigle, ou des mélanges - méteils), mais aussi pour les cultures de rapport* (vignes, oliviers, mûriers, amandiers).
Les terres de plaine, précédemment en hermes sont d'abord remises en culture. Dans un second temps, la pression démographique devenant plus forte, les rompudes des reliefs sont remises en cultures, voire étendues, ces dernières au détriment de la forêt, voire, éventuellement des patus.
Mais le besoin de viande et celui de laine pour les proto-industries accroissent aussi le besoin de patus en garrigues, et au-delà en pâturage en sous-bois, c'est-à -dire au détriment de la forêt elle-même, malgré les mises en défens *.
Mais la forêt est également nécessaire pour les nombreux besoins en bois de construction, de marine, d'œuvre (en particulier les tonneliers liés à la vigne), de chauffage, pour les fours à chaux, de verriers, de forges, de boulange...
Ainsi, au cours du temps, le foncier, en particulier en garrigues, est donc susceptible de changer d'usages, mais aussi de propriétaires, de forme de parcellaire, et de profits.
Principe schématique d'organisation des terroirs et des parcelles à partir du Moyen Âge (XI e - XII e siècle)
Les fluctuations démographiques schématisées (les dates sont des repères et non des “absolusâ€). D'après Le Roy Ladurie,1966.
Mécanisme général des fluctuations du foncier du Moyen Âge (X e et XI e siècles) jusqu'en 1850.
Les évolutions du foncier sur les reliefs
Les garrigues propriétés des souverains
Durant l'Antiquité tardive (V e -VIII e siècles), les reliefs intérieurs se sont dépeuplés (sauf exceptions telles que Gaujac, Agonès, Saint-Bauzille-de-Montmel...) et ont été abandonnés. La forêt a regagné du terrain. Les propriétés passent aux souverains wisigothiques, puis mérovingiens et carolingiens. Il semble néanmoins qu'à cette époque le pâturage en garrigue ou sous-bois ait été totalement libre, par un droit s’imposant au droit de propriété.
Les garrigues propriétés seigneuriales, ecclésiastiques ou laïques
À partir du IX e -XI e siècles, une partie des garrigues devient par donations la propriété d'abbayes bénédictines. C'est le cas d'Aniane (fondée vers 780), de Gellone à Saint-Guilhem-le-Désert (804), de Saint-Saturnin-du-Port à Pont-Saint-Esprit (918), de Saint-Sauveur-de-la-Font à Nîmes, au Temple de Diane (990), de Saint-Geniès-des-Mourgues (1019). À chaque abbaye s'adjoignent des dizaines de prieurés (ou celles, telle Celleneuve), de manses (futurs mas).
Ces donations entraînent parfois, par des fronts pionniers de défrichements et de colonisation, un véritable quadrillage des garrigues. C’est le cas de la haute vallée de l'Hérault et du Causse d'Aumelas, à partir de Saint-Guilhem et Aniane.
À ces abbayes s’ajoutent les fiefs et tenures épiscopales, telle une grande partie des garrigues nord-montpelliéraines dépendant de l'évêché de Maguelone.
Une seconde vague de création d'abbayes, essentiellement cisterciennes, complétera ces appropriations de la garrigue : Vignogoul à Pignan (1130), Valmagne à Villeveyrac (1138), la Chartreuse de Valbonne (1204), et les commanderies templières de Saint-Christol (avec les domaines de Saint-Jean-Ginestet, Saint-Maurice-de-Cazevieille, Bagnols-sur-Cèze), et de Montpellier, avec les domaines de Bannières (Castries) et Launac (Fabrègues).
Une autre partie des garrigues passe au pouvoir des seigneurs ou des vicomtes (telles les Garrigues de Nîmes, propriété des Trencavel). Les seigneurs (laïcs ou ecclésiastiques) se gardent une réserve et accordent aux habitants des droits d'usage, moyennant redevances sur :
– les patus : pour la dépaissance* et la glandée. C’est la rente pastorale ;
– les parties défrichées et cultivées : pour le droit de cultiver une tenure et de la quitter (acapt* et lauzime* ou lods*), pour les produits issus des cultures (champart* ou cens*). C'est la rente foncière ;
– les forêts : pour la coupe et la récolte du bois (lignerage* et affouage*), pour le ramassage de fougères, genêts, bruyères, plantes aromatiques (soutrage*), pour les coupes de bois à destination des verreries, poteries, tuileries... C'est la rente forestière.
Les garrigues propriétés des communautés : pâturages et bois
À partir du XII e siècle les habitants se constituent en communautés faisant valoir leurs intérêts face aux seigneurs. Certaines d'entre elles ont même réussi à devenir propriétaires.
C'est le cas, en 1124, des habitants de Nîmes pour 1000 sous en monnaie de Saint-Gilles. Cet acte est renouvelé une première fois en
1140, cette fois en présence des consuls de la ville. En 1185 il est à nouveau confirmé par le comte de Toulouse.
Dans ce cas l'usage essentiel de ces garrigues, devenues communautaires, est le pâturage, comme l'indique, en 1140, le texte du Charroi de Nîmes : “donnez-moi Nîmes où sont les tours pointues et son pays, et toute la pâture†et celui de 1185 : “sans réserve, au peuple de Nîmes, pour servir à ses pâturages, de tous ses boisâ€.
En 1248 les “Hommes de Saint-Victor-la-Coste†obtiennent de leur seigneur, en emphythéose*, la totalité des vastes pâturages de la montagne de Malmont.
Par contre, en 1215-1216, la Commune de Montpellier acquiert de l'évêque de Maguelonne le bois de Valène à Murles mais, cette fois-ci, comme ressource en bois pour l'approvisionnement de la ville. En 1273 y seront ajoutés le domaine et la baronnie contigus de Caravettes. Le boisement sera préservé jusqu'à sa vente en 1792 en 13 lots à 13 propriétaires privés, ce morcellement augmentant le profit de la vente.
Devenues propriétaires de garrigues, les communautés pourront les affermer* pour la dépaissance, pour les coupes de bois, ou encore vendre des parcelles à défricher pour des mises en culture.
Les garrigues propriétés privées : les défrichements
En 1500 la quasi-totalité des propriétés en garrigues est en bois-taillis * et patus. On est encore dans une économie d'élevage en garrigue, complémentaire des bleds qui occupent, eux, l'essentiel de la plaine.
De 1576 à 1597, la quasi-totalité des par- celles défrichées sont en bleds, s'ajoutant à ceux de la plaine. On est dans une économie de subsistance, voire de survie. Les bleds sont la base de l'alimentation. Il faut faire face à la croissance démographique. Le besoin est tel que, sur une surface défrichée à peine doublée, le nombre de parcelles a été multiplié par près de huit ! Cela explique l’apparition d’un micro-parcellaire.
Entre 1597 et 1652, tout a changé : les surfaces défrichées ont encore doublé, mais, cette fois-ci la vigne en occupe la quasi-totalité. Les bleds ne sont plus qu'accessoires : après la crise de 1600-1620 (chute des cours, événements climatiques défavorables, guerres de religion, épidémies sur une population trop nombreuse et affaiblie), il y a moins de bouches à nourrir. Les parcelles ont doublé de taille. La vigne, de qualité sur des sols pierreux, a trouvé des marchés vers les villes proches (Nîmes, Avignon...), voire l'exportation (Gênes). La garrigue n'est plus le lieu du pâturage, ni des bleds, c'est le lieu d'une nouvelle économie de rapport.
Mais dès la fin du XVII e siècle et jusqu'au début du XVIII e (1680-1720), la surproduction de vin, sa mévente, la stagnation technique et des rendements des bleds et l'alourdissement du prélèvement fiscal royal, ne permettent plus l'accroissement de la population. Au contraire celle-ci s'appauvrit, s'affaiblit, et ne peut plus faire face aux épidémies et aux adversités climatiques (tel le terrible hiver 1709). C'est, à nouveau le recul démographique, l'abandon des terres défrichées en garrigue, le repliement sur l'ager de plaine et la concentration foncière sur un petit nombre de propriétés.
La reprise économique et démographique du XVIII e siècle ramène en quelques décennies (à partir de 1750-1770) les mêmes effets que dans les périodes précédentes : la “faim de terreâ€. En 1766 puis 1770, les ordonnances royales autorisent et encouragent, moyennant exemptions, les défrichements, ainsi que l’aliénation des communaux* par les communautés. La Révolution française accentuera encore ce mouvement de privatisation, voire d'usurpation des terres dans les communaux, le plus souvent en garrigue. Il en résultera à nouveau un morcellement du foncier avec de fortes inégalités : les meilleures terres pour ceux qui ont les moyens d'investir, les “coqs de village†et les bourgeois, les moins bonnes pour les manouvriers et journaliers. Cette remise en culture des garrigues se poursuivra jusque vers 1870 et la crise du phylloxéra.
Nombre de petites propriétés et de mises en cultures seront alors abandonnées. La concentration foncière reprendra ou s'accentuera. L'élevage ovin disposera de grands espaces, et on constatera une reprise de la forêt et de ses exploitations (charbonnières, plantations
de pins pour le boisage des mines, pour
la résine...).
De ces alternances de défrichements, de mises en culture, d'abandon, et de nouvelles mises en cultures, il nous reste, sur le plan cadastral, des zones de microparcellaire, et des kilomètres de murets, chemins, terrasses, capitelles... plus ou moins enfouis sous la végétation, plus ou moins visibles sur le terrain et sur les cartes et photographies aériennes.
Des grandes propriétés il reste de grandes parcelles, plus ou moins géométriques, de grands mas, des réseaux de drailles*, des bergeries (jasses)...
Les défrichements à Langlade
Un exemple typique (bien étudié, en 1962, par un agronome, Barry, et un célèbre historien, Le Roy Ladurie) est celui de la Vaunage, proche de Nîmes. La garrigue de Langlade est partiellement défrichée au cours des XVI e et XVII e siècles, par vente de parcelles des communaux *.
Au fur et à mesure que le nombre des parcelles défrichées augmente, leur surface, elle, diminue.
Les évolutions foncières dans les plaines et bassins
Une longue stabilité des terroirs
Ici l'histoire du foncier est beaucoup plus stable. L'essentiel du terroir est mis en culture et organisé ou ré-organisé au Moyen Âge et son extension variera peu jusque dans la deuxième moitié du XX e siècle.
Le schéma global d'organisation des villages est concentrique autour des nouveaux châteaux (castra et incastellamento). Plus proches du centre sont les parcelles cultivées le plus intensivement que l'on appelle orts*, ferragines*, condamines *. Plus éloignées sont les terres ou champs et au-delà le saltus.
Les jardins : orts et ortales prennent une nouvelle ampleur aux XI e et XII e siècles
Certes les jardins (potagers, voire vergers), figures obligées de la subsistance, existaient déjà , auparavant. Mais, à partir des XI e -XII e siècles, ils prennent une autre ampleur du fait de l'accroissement démographique, tant pour l'auto-consommation complémentaire des bleds que pour une production permettant un revenu complémentaire par ventes.
L'ort familial, d'autoconsommation, est une parcelle d'un quart d'arpent soit environ 1 000 à 1 200 m 2 , surface jugée nécessaire à l'appro- visionnement d'une famille, ou souhaitable pour attirer des nouveaux habitants. Dans les actes (contrat d'arrentement*, actes notariés et compoix*), elle n'est pas toujours individualisée, étant comprise dans la trilogie bâti-cour-jardin.
Cette intensification jardinière fait apparaître à proximité immédiate des châteaux, des zones organisées de jardins – les ortales. Celles-ci sont régulièrement fumées. À Aniane, par exemple, au XII e siècle, il existe des terrains qui, au milieu des jardins, servent à entreposer ou fabriquer le fumier. Les orts sont également irrigués : installés près des rivières et des canaux des moulins (qui ont fait leur apparition depuis le IX e siècle) ils bénéficient de l'eau d'irrigation. À Aniane, au XIII e siècle, la communauté installe et organise un vaste ortal “au-delà de la porte de Montpellier, utilisant probablement les eaux du ruisseau des Corbièresâ€, avec des vannes pour chaque jardin.
Le jardin peut donc être soit une propriété individuelle, soit celle d'une communauté ou d'une seigneurie ecclésiastique ou laïque : chaque abbaye possède ses jardins que ce soit dans ou hors de ses murs. Début XIII e siècle l'abbaye d'Aniane possède à Montpeyroux deux jardins. En 1190, Béranger de Puisserguier possède à lui seul, à Popian quatorze jardins. Dans ce dernier cas il s'agit d'une véritable entreprise horticole et maraîchère destinée à la vente sur les marchés.
Les “ferragines†et l'intensification culturale
Il s'agit de parcelles cultivées en céréales ou légumineuses coupées en vert pour le fourrage (ferrage) ou laissées à grainer pour la semence. Vu leur importance dans le système agraire ces parcelles sont particulièrement soignées, fumées et irriguées. Elles se situent à proximité du village et du château, dans le même quartier que celui des jardins, parfois même confondues avec celui-ci. Les parcelles sont de petite taille (1 à 2 sétérée, soit 20 à 40 ares).
Les “condaminesâ€* et l'extension du foncier agricole sur les terres alluviales
Avec l'abondance de main d’œuvre, les progrès techniques de l'attelage, de la charrue et de l'hydraulique avec, en particulier, la création de moulins, des terres bordant les rives (ribes) de cours d'eau, jusque-là inondables ou érodables, deviennent accessibles au prix de nombreux aménagements (canaux de dérivation, plantations de saules, levées de terre...).
Nécessitant de lourds investissements ces terres sont seigneuriales, plus exceptionnellement d'origine bourgeoise. Il s’agit, le plus souvent, de très grandes parcelles – ou blocs de parcelles – en moyenne d'une trentaine d'hectares aux XII e et XIII e siècles, alors que les parcelles ordinaires ne couvrent en moyenne que 0,25 hectare.
Ces terres sont travaillées beaucoup plus intensivement que les simples champs. Elles sont labourées à l'araire* tracté par des bœufs, ce travail étant quinze fois plus productif que le labour à la main. Les labours sont également plus nombreux et les terres sont fumées.
Dans ces conditions de fertilité et d'intensification des pratiques culturales, ces terres permettent de cultiver des productions plus valorisantes tels les prairies (éventuellement de fauche), le froment (plutôt que l'orge), la vigne, et avec des rendements plus élevés. Il s'ensuit des revenus plus importants donc une rente foncière, ainsi qu'une valeur en capital plus élevées.
Ces condamines ont été nombreuses (environ 250), couvrant une surface non négligeable (environ 7200 hectares, du Biterrois à la vallée de la Cèze). Aujourd'hui encore on peut fréquemment lire ce toponyme sur les cartes et les cadastres.
Le gain de surfaces agricoles par assèchement d'étangs
Dans la même logique d'aménagement hydraulique, nombre d'étangs et de zones marécageuses sont drainés afin de gagner des terres nouvelles. Les toponymes de “l'étangâ€, de “l'estagnol†se rencontrent çà et là dans la zone des garrigues (par exemple au Pouget ou à Saint-Guilhem-le-Désert).
Ainsi, dans le sillon de Montbazin, entre la Gardiole et la montagne de la Moure, la commanderie templière de Launac crée un canal d'assèchement de l'étang “l'estagnol†à la rivière Vène.
Dans certains cas il se peut que l'assèchement ait été temporaire, selon le système de l'assec-évolage * : par périodes, l'étang, aménagé avec des fossés d'amenée et de fuite équipés de martelières*, est rempli, fournissant une réserve en poissons. Dans d'autres périodes il est asséché, pour la pêche par vidange, pour le curage, voire pour être cultivé en prairie temporaire. Cela aurait été le cas de l'étang de Tortorières à Villeveyrac, au finage * de Vairac. Mais l'existence de cet usage sur le territoire des garrigues reste néanmoins matière à controverse.
Au total, les gains de foncier agricole en plaine, au bord des cours d'eau et sur les zones humides, au Moyen Âge (XI e -XII e siècles) auraient représenté de l'ordre de 10 000 hectares sur le territoire (3 %). Au-delà de la simple donnée chiffrée de cette période, ces gains médiévaux ont façonné le paysage des vallées jusqu'à nos jours.
Au plus près du village se trouvent les orts, jardins destinés à l'auto-consommation, les ferragines, qui fournissent le fourrage et les semences t les condamines, terres alluviales cultivées intensivement. Plus loin, sont situés les champs destinés aux autres cultures puis le saltus pour le pâturage des troupeaux.
Les évolutions de la notion de propriété
Une propriété d'abord seigneuriale
Le fondement de la propriété foncière est d'abord seigneurial (laïque ou ecclésiastique). Du fait de la féodalisation entre le X e et le XII e siècles (“nulle terre sans seigneur†; hiérarchie de liens de vassalité-suzeraineté systématique pour tout seigneur) et de l'affiration du pouvoir royal, le Roi est le seigneur-propriétaire éminent ce qui justifiera ses droits sur toute propriété dans le Royaume.
La propriété seigneuriale est grevée de droits et redevances : la rente foncière
Elle est généralement divisée en deux parties : l'une en exploitation directe, l'autre en terres “baillées à fermeâ€, via un contrat qui permet aux paysans d’utiliser ces terres. Néanmoins, c'est généralement à mi-fruit (d'où le nom de métayage), la moitié de la production revenant au seigneur, avec de plus des droits d'usages, redevances (principalement cens * ou dîmes), droits de mutation à l'entrée (acapt), en sortie (lauzime * ou foriscape), corvées, dont l’ensemble constitue la rente foncière. En ce sens les droits sur le foncier sont, sous bien des aspects, plus déterminants que la propriété elle-même, au sens strict.
Acquérir du foncier, devenir propriétaire
Droits et redevances peuvent être monnayés. Ils peuvent être rachetés. Si les droits n'ont été rachetés que partiellement, la propriété sera dite incomplète. Par exemple, en cas de vente d'une tenure, le tenancier devra encore payer au seigneur, notamment, les droits de lods * sur cette vente. Si tous les droits ont été rachetés, la terre devient alors un alleu, une pleine propriété, libre de droits. En ce sens, dès le XII e siècle se met en place un marché du foncier.
Un mode particulier d'acquisition de la terre est le contrat de “méplant†par lequel le bailleur passe avec un preneur un contrat de plantation (le plus souvent de vigne) pour 5 à 7 ans. Au terme la moitié de la terre revient au preneur en pleine propriété.
Un autre mode d'acquisition est l'hypothèque. Le prêt, relativement courant, parfois usuraire*, surtout dans les périodes critiques (disettes, famines, conditions climatiques exceptionnelles...), pour l'acquisition de nourriture, de semences, d'outils, peut être gagé sur la terre. En cas de défaillance de remboursement le prêteur devient propriétaire de la terre.
Propriété collective et usages, ou propriété individuelle ?
Historiquement ces deux formes ont toujours coexisté, particulièrement dans le territoire des garrigues, dans des modalités et des équilibres variables. Mieux, pour certains auteurs, les usages ont été plus importants que la notion même de propriété qu'elle soit seigneuriale, collective (les communaux *) ou individuelle. On ne citera pas ici tous ces usages supérieurs au droit de propriété (que l'on pense à la “vaine pâtureâ€*, au glanage, au “lignerageâ€*, à la pêche...).
Malgré la Révolution française et l'appropriation individuelle d'une partie des communaux et malgré le Code civil napoléonien, il reste de nos jours des propriétés collectives (par exemple les forêts communales) et des usages (chasse, pêche, cueillette des champignons...). Aujourd'hui ces notions sont ravivées, sous de multiples formes, dans la notion de biens communs, de conventions d'usage..