La protohistoire : d'un repli à une ouverture des échanges
Auteur : Claude Raynaud
Date : novembre 2013
Entre Age du Bronze et Age du Fer, un monde replié ? (XIII-VIIe siècles avant J.C.)
Peu à peu l'occupation des cavités est abandonnée
Les populations du Bronze final ont conservé l'habitude de fréquenter les grottes, particulièrement sur les berges des vallées encaissées du Gardon et de la Cèze. Moins nombreuses qu'aux millénaires antérieurs et de toute petite superficie (de l'ordre de 50 m 2 ), ces occupations constituaient-elles véritablement des habitats, des haltes temporaires, des refuges (1) ? Les données restent insuffisantes pour en décider. Ces occupations de cavités se trouvent concurrencées par un nombre croissant d'occupations de plein air qui deviennent majoritaires à la phase ultime du Bronze final. La maison à poteaux de bois portant des murs et une toiture de torchis, parfois adossée au rocher, devient alors le mode normal d'habitation. Si leurs plans arrondis restent mal connus, il reste que ce sont de toutes petites maisons de 10 à 20 m 2 , à pièce unique, qui devaient abriter des familles restreintes, cellules sociales de base.Une sédentarisation qui s'affirme
Si la taille des maisons demeure modeste, celle des habitats connaît un accroissement sensible jusqu'à couvrir quelques milliers de mètres carrés comme à la Bergerie Hermet, près de Calvisson. Cette extension permet de penser à un processus de groupement allant de pair avec une sédentarisation qui semble s'affirmer. Groupement et extension prennent des proportions surprenantes en Vaunage où l'habitat perché de Roque de Viou couvre, aux IX e siècle avant J.-C., près de 7 hectares, une taille qui laisse envisager plusieurs milliers d'occupants. Ces habitats de plein air se multiplient jusqu'au VII e siècle mais restent confinés sur des superficies de 1 500 à 4 000 m 2 , à Sanilhac-et-Sagriès, Vic-le-Fesc, Aigaliers, Combas, Saint-Hilaire-d'Ozilhan ou Calvisson (Gard). Dans ces lieux où l'habitat se perche, on ne connaît encore nulle trace de fortification autre que celle offerte par le relief : les communautés semblent encore peu hiérarchisées.La topographie de ce peuplement connaît une évolution sensible au cours des siècles. Alors que les habitats du Bronze moyen se situaient essentiellement dans les plaines et les vallées, les établissements du Bronze final élisent plutôt les terrasses sur des falaises puis dans un second temps, au IX e siècle, les rebords de plateaux ou les sommets de collines, à Remoulins, Calvisson, Montmirat, Bouquet, Saint-Victor-des-Oules,...
Nouveau changement : aux VIII e et VII e siècles, lorsque débute l'Âge du Fer, l'habitat quitte les sommets et adopte des emplacements diversifiés : versants moins abrupts à Brignon, Saint-Hilaire-d'Ozilhan, combes des garrigues en Uzège, Vidourlenque et Bagnolais, et même les berges des étangs littoraux, d'Aigues-Mortes à Mauguio...
Dans ce réseau diversifié et diffus, un habitat de plateau se singularise par son étendue à La Liquière (Calvisson), dans cette Vaunage qui, depuis le cas de Roque-de-Viou au Bronze final, confirme sa capacité à regrouper d'importantes populations. Voilà la marque de ce peuplement : instable, il ne cesse d'hésiter sur le choix des sites et ne semble obéir à aucun maillage ; dense ici, lâche là, absent ailleurs, l'habitat reste en voie de sédentarisation pour des communautés agro-pastorales vivant en auto-subsistance.
L'ouverture méditerranéenne (VIe-Ier siècle avant J.-C.)
L'apport des relations avec les Grecs, essentiellement sur le littoral
Après avoir longtemps tourné le dos à la Méditerranée, les populations languedociennes entrent en relation avec des commerçants venus d'Étrurie et de Grèce, relations d'abord sporadiques vers la fin du VIIe siècle puis s'intensifiant au siècle suivant, jusqu'à transformer en profondeur la vie régionale. Apportant une technologie avancée et des produits nouveaux dont le vin est emblématique. Ces échanges renouvellent en quelques décennies les cadres de vie et de production et d'abord sur le littoral autour de comptoirs comme Lattes, Agde ou Le Cailar. C'est seulement au V e siècle que l'innovation gagne la région des garrigues, y produisant des effets moins intenses que sur le littoral. Puissant stimulant socio-culturel, ce courant introduit ainsi un développement à deux vitesses entre un littoral "connecté" et un arrière-pays "décalé". Le décalage ne fut jamais comblé, même lorsque au V e siècle l'économie dynamique de Massilia (Marseille) prit le relais des négociants Grecs.Un processus d'urbanisation
Le double processus amorcé à l'époque précédente s'intensifie alors : accroissement du peuplement et structuration de grandes agglomérations perchées, les oppida *, autour desquels de premières enceintes s'élèvent qui marquent le paysage, dominant plaines et vallons où quelques habitats dispersés sont recensés, principalement aux IV e et III e siècles. Derrière ces murs s'affirme un cadre de vie pré-urbain où les maisons, plus vastes que précédemment et bâties en pierre, s'alignent désormais selon les axes d'une voirie structurée. Expression d'une hiérarchisation sociale croissante, ce premier urbanisme est surtout sensible dans les oppida du littoral et de la bordure méridionale de la garrigue : à Beaucaire, Remoulins, Roque de Viou, Nages, Ambrussum, Saint-Bauzille-de-Montmel et, site d'ampleur dès lors majeure, le Mont Cavalier à Nîmes. De la vallée du Rhône à celle de l'Hérault, c'est sur cette ligne que s'établit alors la plus forte densité de peuplement, encore renforcée au II e siècle par la création de nouvelles et vastes agglomérations à Villevieille et Murviel-les- Montpellier.Ce processus d'urbanisation va de pair avec le développement d'une économie d'échange d'abord tournée vers Marseille, avant que les commerçants italiques ne prennent le dessus à partir du III e siècle, ouvrant la voie à la mainmise de Rome au siècle suivant.
Les garrigues, arrière-pays délaissé
La région des garrigues, si elle connaît les mêmes évolutions techniques et culturelles, reste occupée par des établissements plus modestes et moins nombreux. Un cas emblématique est celui du Plan de la Tour à Gailhan, dans la vallée du Vidourle, où produits importés et nouveaux modes de production sont assimilés dès le V e siècle mais avec un temps de retard sur le littoral et très localement. Cette vallée, objet de recherches particulièrement poussées, permet de mesurer la diffusion de ce peuplement, qui s'essouffle et paraît absent au nord de Gailhan jusqu'au piémont cévenol. La garrigue reste en situation d'arrière-pays, elle semble même perdre une part de sa population, plusieurs habitats étant désertés dès le IV e siècle. Selon un scénario que l'on retrouvera au travers de l'histoire, la plaine et le littoral aspirent une population qui se concentre dans les oppida, au détriment de l'arrière-pays délaissé.Le développement des échanges commerciaux
Exclusivement vivrière jusqu'au début de l'Âge du Fer, l'économie s'ouvre ensuite aux échanges et connaît un fort développement, autant pour accompagner le vraisemblable accroissement démographique que pour répondre à l'offre des commerçants méditerranéens. Les ressources demeurent néanmoins agricoles, au prix d'une emprise croissante sur le milieu que révèlent les aires de fumures relevées par les prospections systématiques. On mesure ainsi l'extension progressive des aires cultivées au pied des habitats, notamment en Vaunage où les indices montrent l'émergence de terroirs structurés, du V e au III e siècle. Céréales et élevage des ovins et caprins constituent les principales activités, au regard des vestiges de faune et de flore étudiés par les zoo-archéologues et archéo-botanistes. À cela s'ajoutent les contributions du porc et du boeuf et, encore conséquente, de la chasse. Lapin, Sanglier et Cerf fournissent des apports non négligeables, surtout lorsque l'élevage connaît quelques difficultés, comme cela semble être le cas du V e au III e siècle, lorsque la proportion de gibier s'accroît durablement tandis que s'abaisse celle de l'élevage, pour une raison que l'on ne cerne pas encore.La conquête romaine et l'organisation de la province de la Narbonnaise, si elles n'introduisent pas de rupture dans les cadres de vie ni dans l'économie, affaiblissent cependant les oppida qui perdent une part de leur autonomie politique lorsque la réorganisation de la province en 77 avant J.-C. les place sous l'autorité de Nîmes, chef-lieu des Volques Arécomiques. Cette étape importante pour la structuration du réseau urbain de l'axe littoral, aura des répercussions sur le peuplement et l'économie de la garrigue.
(1). Refuge : la notion de refuge accompagne la perception de nombreux lieux d’habitats de la garrigue, particulièrement les cavités et les sommets, quand cela n’est pas, à certaines périodes, la garrigue toute entière qui devient ou est supposée devenir un refuge. C’est le cas notamment dans la construction historico-mémorielle du haut Moyen Âge que l’on perçoit encore comme une période de péril constant qui nécessita la création d’habitats refuges sur les hauteurs et dans les cavités, pour fuir les ravages des armées qui se disputaient les plaines.
La notion de refuge se nourrit aussi du souvenir des Camisards, cachés dans des grottes, réactivé par les maquisards dont plusieurs devinrent par la suite archéologues ou historiens.
Roque de Viou, dominant la Vaunage
En position centrale et dominant la Vaunage par son relief tabulaire à 170 mètres d’altitude, la Roque de Viou (Saint-Dionisy) marque le paysage. Où que l’on soit, on l’aperçoit, poste avancé de la garrigue qui surplombe villages et terroirs agricoles. Les caractères du site ne manquèrent pas, par le passé, d’attirer des populations en quête de protection et/ou d’affirmation visuelle.
Les premières traces d’occupation, diffuses et mal caractérisées remontent à l’Âge du Bronze ancien, au cours de la période “campaniforme”, entre les XVIII e et XV e siècles av. J.-C. Puis, après des siècles d’abandon, une communauté plus importante s’établit à la Roque à la fin de l’Âge du Bronze final, entre les IX e et VIII e siècles avant J.-C. Les vestiges couvrent alors l’ensemble du plateau, sur près de 6,5 hectares, habitat assez considérable pour l’époque. Cette communauté de plusieurs centaines, voire plusieurs milliers d’habitants, vivait dans des petites constructions en bois, terre et pierre. Si l’ampleur de l’établissement marque une avancée du processus de sédentarisation, les strates archéologiques révèlent une occupation encore instable, peut-être saisonnière, et l’ensemble n’est pas encore protégé par une enceinte. Cet habitat fut déserté vers la fin du VII e siècle, sans que l’on en connaisse la cause : changement culturel, problème environnemental, démographique, facteurs multiples ?
Après trois siècles d’interruption, l’occupation reprend au même emplacement et sur une étendue comparable, au IV e et au début du III e siècle avant J.-C., apogée d’un processus d’urbanisation, la “civilisation des oppida”. Oppidum * : le mot est entré dans l’usage pour désigner une agglomération ou une ville gauloise, mais il ne faut pas oublier que c’est un terme latin, connu tardivement dans les textes et dont le sens n’est pas univoque pour les Romains eux-mêmes ! Le terme est donc à peu près sans rapport avec la réalité qu’il prétend désigner, mais l’habitude est prise...
Ce nouveau village tranche d’emblée par sa construction soignée, au sein d’une grande enceinte de pierres sèches. Les habitations en pierre forment dans un premier temps un semis lâche, puis, à la fin du IV e siècle les constructions se densifient et se diversifient, montrant une hiérarchisation croissante des occupants. L’enceinte se voit doublée par un nouveau mur qui confère à l’ensemble une masse imposante. C’est alors, en plein essor, qu’intervient au début du III e siècle, un nouvel abandon : la population se déplace de quelques centaines de mètres pour s’établir vers l’oppidum des Castels à Nages. Seul un motif d’ordre politique pourrait expliquer ce déplacement paradoxal : un conflit avec l’oppidum voisin de Mauressip, qui domine le nord de la Vaunage ?
Dernier épisode, au début de la période gallo-romaine, la Roque est occupée, une nouvelle fois de façon ponctuelle, par quelques habitations et par un sanctuaire païen, avant d’être définitivement délaissée vers 50 après J.-C. En effet, le premier millénaire de l’ère chrétienne est marqué par la prépondérance de l’habitat de plaine, les hauteurs perdant leur attractivité pour se trouver reléguées aux marges des finages * agro-pastoraux. Au XXI e siècle, la Roque de Viou n’accueille plus que quelques randonneurs, ... et des archéologues !
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