Les verriers



Auteur : Claude Raynaud
Date : novembre 2013

Les verreries forestières du Bas-Languedoc du XIII e au XVIII e siècle.

C'est au cours du XIII e siècle qu'apparaissent les verreries dans les massifs forestiers du Bas-Languedoc. Depuis Philippe le Bel, en 1312, autorisant les “verriers de Champagne à souffler le Verre sans déroger...” jusqu'aux lettres patentes d'août 1727 de Louis XV, de nombreux actes royaux ont codifié le “noble art de verrerie”. La première Charte des verriers du Languedoc, dite de Sommières, est énoncée par Charles VII en 1445. Elle réglemente les devoirs et les droits des Gentilshommes verriers. Trois siècles plus tard, du 7 au 11 octobre 1753, au terme de l'assemblée générale des Gentils-hommes verriers réunis à Sommières sont rédigés les derniers Statuts (1) qui réglementent les activités de leur Corps.

Le verre, une économie nouvelle et florissante aux XIII e et XIV e siècles.

Cet artisanat participe au développement économique d' un espace royal en extension, proche du littoral méditerranéen, entre les villes d'Uzès et de Carcassonne. Par leur position géographique les villes de Montpellier, d'Agde, de Béziers et de Narbonne ont accès aux dé- bouchés commerciaux maritimes. Commerce maritime qui s’amplifie à partir de 1204 avec le nouveau seigneur de Montpellier, Pierre II roi d'Aragon et de Majorque, comte de Barcelone. Un contrat d'expédition de près de 3000 pièces de verre est passé, le 5 juin 1343, entre un marchand de Montpellier et deux mariniers de Frontignan pour transporter cette cargaison du port de Lattes à Barcelone(2). De même les faïences importées de Barcelone et de Valence, mises au jour sur les sites, occupés par les verreries de la région montpelliéraine (verreries de la Seube, de la Buissade, de la Tailhade sur le Causse de l'Hortus), illustrent ces échanges commerciaux. Outre le commerce international, une clientèle urbaine, aisée, se procure des objets de luxe en verre “façon de Venise”, comme ceux découverts à Montpellier (puits de la rue de la Barralerie).

Les verreries forestières.

Au Moyen Âge, les ateliers de verriers sont installés dans les massifs forestiers. Deux raisons majeures semblent déterminer ces localisations : les risques de propagation d' incendies dans les villes ; les difficultés d'approvisionnement en bois de chauffage et en matières premières. Ces verreries implantées dans des mas ou construites en forêt sont isolées. Elles sont reliées aux grandes voies de communication par de simples chemins muletiers, empruntés soit par les verriers pour s' approvisionner en matières premières (sable ou roches siliceuses, argile réfractaire, bois de chauffage...), soit par les marchands qui en venant prendre livraison de leurs commandes annuelles d'objets en verre, leur livrent la soude végétale (salicor) en provenance des étangs littoraux, les oxydes métalliques entrant dans la composition du verre...
La Halle est le bâtiment technique où toutes les phases de la production sont concentrées à l'abri des éléments naturels (vent, pluie) et des étrangers au Corps des Gentilshommes verriers. On y trouve le Four de fusion. La phase de fusion réalisée à 1200°C peut durer une journée et plus pour transformer la composition [composée d'un vitrifiant : la silice (Si O 2 ), d'un fondant : la soude (Na 2 O) et d' un stabilisant : la chaux (Ca O)] de l'état solide (pulvérulent) à l'état visqueux. “La plasticité du verre est proportionnelle à sa température..., plus il refroidit plus il durcit. Le palier de travail se situe entre 1100°C environ (viscosité du miel) dès l' instant où on le cueille, jusqu'à 850°C environ”. (3)
Le Four de recuisson, ou Arche à recuire ou Carcaise, “sert à éliminer les tensions du verre en cours de refroidissement” 4 . La température au moment où les pièces y sont entreposées durant la journée de travail et leur retrait le lendemain matin décroît de 500°C à 50°C pendant la nuit.

Le combustible.

Pour le département du Bas-Languedoc, diocèses de Lodève, Montpellier, Béziers, Alais, les fours sont en activité pendant une campagne d'une durée “de six mois et demy à commencer le vingt quatrième octobre, et finir le huitième du mois de may suivant” 5 . Pendant cette période ils fonctionnent nuit et jour, approvisionnés en bois de chauffage débité en billettes de 70 à 75 cm de long. Le tiseur * et ses aides maintiennent le four de fusion à une température constante de 1200°C à 1100°C pendant toute la durée des opérations de soufflage en gardant une flamme vive et claire.
La consommation journalière d'une verrerie de quatre à six places occupant quinze à vingt personnes, est estimée à 100 quintaux de bois par jour (6) , soit 8 stères par jour (on compte 550 billettes par stère). Une campagne de six mois et demi consomme environ 1376 stères.
La chênaie blanche est réservée aux verriers et concerne soit d'anciennes futaies d'accès difficile, ou du taillis *, parsemés de réserves centenaires de chênes pubescents (blancs) ou verts. Les recherches archéologiques et les travaux historiques récents confirment la présence pendant cinq siècles (du XIII e au XVIII e siècle) d'au moins vingt-cinq verreries sur le Causse de l'Hortus et ses marges. Sur une si longue durée ces résultats laissent à penser que les Gentilshommes verriers ont géré rationnellement l'espace forestier en pratiquant la coupe en taillis.

La Forêt.

Au XVIII e siècle avec l'accroissement des manufactures, les besoins domestiques et artisanaux de plus en plus importants en bois de chauffage, un grave déficit en bois se fait jour. Les verriers sont accusés de faire disparaître la forêt. Pour y remédier, les décisions de l'arrêt du Conseil du 7 août 1725 ordonne le transfert des verreries, celles de l'Hortus en particulier, sur “les montagnes de l'Aigoual...”, mais les verreries resteront, la plupart, sur leur lieu de production, la démonstration étant faite que les peuplements forestiers brigués par les grandes communautés étaient inaccessibles, les voies de charroie étant inexistantes.
L'analyse de Faure, Lieutenant-Général, rédacteur d'un “Projet d'approvisionnement de la ville de Montpellier en bois de chauffe et de charbon (3 décembre 1761) met en évidence les difficultés de transport du bois : “le cosse de Pompignan est rempli de gros arbres de toutes espèces qui périssent sur pied faute de débouchés...la seule verrerie de Baume située à l'une de ses extrémités, consomme chaque année trente mille quintaux de chêne blanc ; encore n'exploite-t-elle que ce qui est le plus à sa bienséance et dans son arrondissement. J'ai dit de Chêne-blanc, parce que les chênes-verts étant en coupe réglée, il ne lui est pas permis d'y toucher et que d'ailleurs ils sont communément trop petits pour la voracité du fourneau, où il faut des troncs d'une grosseur énorme. Cette verrerie travaille depuis plus de cent ans... le bois est rendu chez le particulier à dos de mulet” (7) .
Durant la période qui va de 1790 à 1800, au niveau national des milliers d' hectares de bois ou forêts sont défrichés, transformés en terres agricoles ou en pâtures. La dépaissance * des moutons et surtout des chèvres sur les rejets de souches, après la coupe du taillis, entraîne la disparition définitive des peuplements forestiers. Ces déforestations ne sont pas le fait des seuls Gentilshommes verriers, la fin de leurs privilèges les force à abandonner au lendemain de la Révolution cette activité pluriséculaire. Et disparaît alors la longue tradition d'Art et Science de Verrerie en milieu forestier.

(1). Archives Départementales du Gard. 2E.66300.
(2). Archives Départementales de l'Hérault. 2E 95/372, f°32.
(3). A. Guillot, 2004.
(4). A. Guillot, op. cit.
(5). Archives Départementales du Gard. 2E.66300.
(6). Archives Départementales de l'Hérault. C5407.1743.
(7). Archives Départementales de l'Hérault. C2949.




Cartes et illustrations


































































































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