Les champignons de la garrigue, un monde à découvrir
Auteur : Franck Richard et Jean-Michel Bellanger
Date : novembre 2013
La garrigue est traditionnellement considérée par les mycologues* comme un milieu, riche en espèces, mais aussi particulièrement capricieux ! En effet, les poussées y sont imprévisibles et éphémères, à cause du climat méditerranéen bien sûr, mais aussi du fait que le vent, comme dans tous les milieux ouverts, y dessèche plus rapidement les premiers centimètres du sol qu’en forêt. Or l’action du vent stoppe généralement la sortie des champignons en quelques heures.
Une autre particularité de la garrigue ouverte, est celle d’être dominée par des plantes incapables d’héberger sur leurs racines les champignons classiquement rencontrés en forêt. En effet, les Lamiacées (Thym, Lavande, Romarin…), Fabacées (genêts, Psoralée…), Poacées (Brachypode, Catapode, Fétuque…), Oléacées (Oleastre, Filaire…) et autres Anacardiacées (Lentisque, Térébinthe…) composant les paysages de garrigues sont associées avec une lignée de champignons, les Gloméromycètes, ne formant pas de fructifications visibles à l’oeil nu. Dans ces conditions, seules les garrigues dans lesquelles on trouve quelques Fagacées (chênes…), Éricacées (Arbousiers), Pinacées (pins), et Cistacées (cistes, hélianthèmes) ont une chance d'héberger Bolets, Russules, Chanterelles et Amanites.
Pour ces raisons, la flore fongique * s'enrichit progressivement lorsque la déprise pastorale conduit à la fermeture de la garrigue. L’établissement dans la garrigue d’un chêne, ou d’un pin, s’accompagne immédiatement de la possibilité pour les nombreuses espèces fongiques qui leur sont associées, d’accomplir leur cycle biologique. Les amateurs de champignons le savent bien, de nombreuses familles et certaines espèces comestibles de tout premier ordre (Truffe, Cèpe...) sont dans ce cas. Parmi les conséquences de cette succession fongique, parallèle à la succession végétale, les paysages constitués de mosaïques de groupement végétaux, alternant les milieux ouverts de pelouses et les piquetés de chênes et de pins, sont transitoirement les plus riches sur le plan mycologique *, car ils hébergent tout à la fois des espèces forestières et des spécialistes de milieux ouverts. Il existe par exemple des espèces décomposant spécifiquement certaines plantes de garrigue, comme Pleurotus eryngii (le Pleurote du Panicaut), une espèce appréciée des gourmets, qui décompose préférentiellement les racines du Panicaut (Eryngium campestre), une Apiacée fréquente dans les anciennes pâtures. Lorsque la couverture forestière devient trop dense, la disparition du Panicaut entraîne la disparition du Pleurote !
Lorsque l’on se penche sur l’histoire locale, une réalité saute aux yeux : les mycologues montpelliérains du XIXe siècle, comme de Candolle, ont concentré leurs efforts d’inventaire et de description dans les dernières forêts alors présentes aux abords de Montpellier (parcs de châteaux, boisements privés) et sur le littoral languedocien. Cette tradition semble s’être perpétuée avec le temps, si bien qu’aujourd’hui les garrigues demeurent encore méconnues sur le plan mycologique. Aujourd’hui, une uniformisation des garrigues semble amorcée sur d’importantes surfaces, sous l’effet conjugué de la déprise pastorale et de la fréquence de grands incendies. Les champignons sont particulièrement impactés du fait de leur lien obligatoire aux végétaux. Dans ce contexte, notre relative méconnaissance de la biodiversité fongique apparaît comme le symbole d’un milieu à découvrir, car paradoxalement façonné par l’Homme et pourtant bien mal connu.
Cartes et illustrations
Le Bolet magnifique (Boletus permagnificus), rare et marqueur des chênaies thermophiles méditerranéennes.
Amanite des Césars ou Oronge vraie (Amanita caesarea), excellent comestible présente en garrigues où elle est rare.