Auteur : Pascal Chevalier
Date : novembre 2013
Le territoire des garrigues est soumis à deux mécanismes de développement concomitants. Le premier, lié à la proximité urbaine, instaure des relations complexes de dépendance/complémentarité entre la garrigue et les grandes agglomérations. Cette dimension peut être appelée “la garrigue pour la ville”. Sous la pression d’une force exogène au territoire, le modèle urbain s’étend sous de nombreuses formes jusqu’aux villages les plus reculés des garrigues. Ce mécanisme ne se traduit pas seulement par une relation de dépendance (pour le travail, les achats...) mais aussi par une nouvelle complémentarité qui apparaît avec le développement des circuits courts par exemple. Par une logique de proximité, la garrigue retourne peu à peu vers une de ses fonctions d’origine, nourrir la ville, même si cela peut prendre des formes nouvelles (nourrir la ville en espaces de loisirs par exemple). En parallèle, apparaît aussi un autre mécanisme : la garrigue comme objet de développement en soi. La garrigue nourrit aussi la garrigue. La ruralité se recompose, des bourgs reprennent leur rôle de
lieu d’échange
(autour des marchés qui renaissent notamment)... Ces flux internes, moins organisés, plus récents, sont également plus difficiles à faire
ressortir et Ă identifier comme tels.
La métropolisation n’est plus le seul modèle en action sur le territoire
En s’appuyant sur les données du dernier recensement de l’INSÉÉ (Institut National de la Statistique et des Études Économiques), l’analyse de l’évolution des auréoles de croissance de population des communes autour des villes et agglomérations fait apparaître une métamorphose récente du territoire des garrigues. Il n’y a pas seulement un phénomène de métropolisation, c’est-à -dire une augmentation de la population engendrée par la proximité des agglomérations s’étendant par cercles concentriques autour de la ville centre et le long des principaux axes routiers mais également une croissance endogène. Il existe donc une population qui se fixe, consomme et travaille sur le territoire. Alors que la métropolisation entraîne un gommage des villes intermédiaires (anciens chefs-lieux de canton par exemple), certaines reprennent peu à peu un rôle de lieu d’échanges qu’elles avaient au XIX e siècle comme Quissac ou Sauve. La migration pendulaire correspondant au déplacement journalier de la population entre les lieux de domicile situés en zone de garrigue et les lieux de travail et de consommation situés dans les grands
centres urbains (Nîmes – Montpellier) n’est plus le seul modèle. Des flux plus complexes, multi-polarisés, semblent depuis peu se développer à nouveau.
Une zone de tension créatrice d’une nouvelle identité
Du fait de la proximité entre un modèle urbain et un modèle rural se métamorphosant rapidement, le territoire des garrigues constitue une zone de tension spatiale. L’identité en tant que construction collective se crée dans la tension. Cette dernière exacerbe l’idée d’appartenance à quelque part, à quelque chose. Ce phénomène est typique des territoires qui ont connu des exodes ruraux très forts à la fin du XIX e siècle et début du XX e , qui ont été laissés de côté par la révolution agricole et qui vivent aujourd’hui sous une forte pression urbaine. Il apparaît alors une identité s’appuyant sur la pauvreté de leur terre, voire la revendiquant.
Cette nouvelle identité rurale qui est en train de se forger s’appuie sur d’autres critères. Ce n’est plus seulement l’agriculture qui en est le cœur mais encore un mode de vie, une recherche de proximité, un paysage, un refus du village-dortoir... Les associations, qu’elles soient sportives, environnementales, patrimoniales ou culturelles, jouent un rôle important dans l’émergence de nouveaux repères territoriaux comme l’a montré en 2004 Estelle Regourd dans sa thèse “Le phénomène associatif dans la recomposition rurale : vers de nouvelles ruralités ?”. On se rencontre dans les associations de parents d’élèves, au club de sport local, on organise une fête du village (fête de la garrigue, de la cerise, du conte, de
l’olive, de la truffe, le carnaval...), on milite pour le maintien du cinéma itinérant, pour l’ouverture d’une épicerie, pour la valorisation des capitelles...
En vue de trouver un palliatif à la migration pendulaire engendrant des temps de trajet importants, des frais de transport peu sou- tenables, de la fatigue mais aussi des contradictions envers d’éventuelles convictions de développement durable, apparaissent aussi des projets émergents de reterritorialisation des activités. Ateliers-relais, espaces partagés pour travailleurs indépendants, organisation du télétravail, décentralisation des animations et activités culturelles, ancrages nouveaux sur des activités de production locale comme l’artisanat d’art... autant de signes d'un renouvellement économique et social. Ces évolutions, très récentes, sont souvent encore peu perceptibles, mais connaissent une très rapide progression.
Enfin, il est intéressant d’observer sous cet angle les logiques de construction des nouvelles collectivités locales sur le territoire des garrigues. Nombre d’entre elles sont à la recherche d’une identité rurale parfois même antinomique avec la réalité de leur périmètre. Elles construisent des projets autour de leurs terroirs, de leurs vins, de leurs patrimoines, passant d’une logique purement spatiale à une approche territoriale. Exister sur un espace sous tension entre urbanité et ruralité oblige à inventer, créer, mettre en relief de nouveaux points de repères communs.