Les bâtis en pierres sèches et leurs usages
Les usages agricoles
Les clapiers et murs séparatifs
Pour permettre la mise en culture de ces terres ingrates les défricheurs devaient extirper les souches d’arbres et les racines, rompre le rocher (travaux très pénibles nécessitant parfois l’usage du pic ou de la barre à mine), puis épierrer le sol pour le rendre cultivable, quitte quelquefois à y rapporter de la terre. Toutes ces pierres, de grosseurs différentes et produites par l’action des gélifications, dégagées d’un sol argileux pauvre en humus, devaient être stockées pour laisser le plus de surface possible aux cultures ; le moyen le plus efficace était la création de clapiers, clapas, bâtis de préférence sur le socle rocheux affleurant. Pour mener à bien cet épierrement long et fastidieux, la famille du défricheur ne manquait pas d’être mise à contribution ! Au cours du temps les clapiers firent l’objet d’un « engraissage » par l’apport de nouvelles pierres résultant des différents travaux d’entretien des cultures de la parcelle (labourage, bêchage au béchard, plantation de ceps ou d’arbres).
Suite à l’acquisition légale ou non d’une parcelle, il était important de marquer sa propriété par la construction, autour de celle-ci, d’un mur en pierres sèches. Ce mur pouvait aussi servir à protéger les cultures de la dent des ovins et caprins, protection d’autant plus efficace qu’il était parfois couronné de pierres plates lauses placées de chant (à la verticale).
Les escaliers et niches
Pour faciliter les déplacements dans ces enclos cultivés, différents types d’escaliers étaient construits : soit les marches étaient incluses dans l’épaisseur du mur (escalier encastré), soit accolées à celui-ci, ou plus simplement constituées de longues pierres épaisses fichées en quinconce dans le corps du mur.
Parfois, des niches, ou mieux, des caches (obstruées, et ainsi dissimulées avec soin par une ou plusieurs pierres) étaient réalisées dans les murs, permettant d’entreposer outils, armes, pièges ou fruits du braconnage.
La gestion et la maîtrise des eaux
Dans nos garrigues, l’eau n’est pas du tout absente. Elle abonde principalement en automne et au printemps, lorsqu’ont lieu d’importantes précipitations. Une partie de ces eaux s’infiltre dans le sol, va recharger les nappes souterraines et alimenter les sources. Cependant, en raison de la soudaineté et de la violence de certaines de ces pluies, une autre partie va ruisseler et converger dans les vallons entraînant la terre et l’humus.
Les béals
Dans le fond de certains vallons, un petit canal : béal, était bâti pour canaliser les eaux ; il était constitué de deux murs parallèles, appelés murs « bajoyers». En section rectiligne, le parement de ces murs est traditionnel ; mais, à l’approche et dans les courbes, de grandes dalles dressées (ou un parement de pierres plates posées verticalement) sont visibles, sensées mieux résister à la force de l’eau. Pour franchir ce béal, une ou deux belles pierres en appui sur les deux murs faisaient l’affaire ! Un bel exemple de béal est visible à la Combe des Bourguignons à Marguerittes.
Les terrasses
Pour pallier au ravinement en terrain pentu, le défricheur construisait des murets perpendiculairement au sens de la pente, afin de ralentir la course des eaux de ruissellement et retenir la terre sur ces parcelles agrandies et devenues horizontales, appelées terrasses, bancels ou faïsses.
Pour concentrer l’eau de pluie, près et autour des troncs d’oliviers ou des ceps de vigne, une cuvette peu profonde était creusée, puis tapissée de pierres plates pour retarder le dessèchement du sol.
Les captages des sources
Les précieuses sources temporaires faisaient l’objet d’aménagements en pierres sèches, soignés et plus ou moins complexes (cavités, escaliers, murets, voûtes), pour les protéger et conserver, leurs eaux, dans le temps.
Les puits
Constructions rares en garrigues, ce sont des puits circulaires dont la paroi intérieure est doublée d’un mur en pierres sèches.
Les citernes et aiguiers
Parfois, pour récupérer une partie des eaux de pluie, on construisait en pierres sèches une citerne couverte, dont l’intérieur était enduit de mortier afin d’en assurer l’étanchéité.
Pour y conduire l’eau, plusieurs solutions étaient envisageables. Le toit de la citerne servait d’impluvium (surface apprêtée pour recevoir les eaux et les conduire dans un réservoir). Si la couverture de la citerne n’était pas adaptée ou d’une surface insuffisante, on pouvait, sur un clapas bâti en déclivité, disposer des pierres plates en « écailles de poisson » qui déversaient l’eau dans un petit caniveau de collecte débouchant dans la citerne. Sur une dalle affleurante et inclinée, plusieurs rainures étaient creusées pour capter et guider l’eau afin qu’elle se déverse dans un réservoir couvert d’une voûte et aménagé dans le bas de la dalle. On réalisait ainsi un aiguier de l'occitan « aïga » qui signifie eau.
Les lavognes
La lavogne (ou lavagne) est une petite mare, permettant de recevoir et conserver des eaux de ruissellement pour abreuver les moutons en automne et en hiver. Dès le mois de juin les troupeaux, fuyant la sécheresse estivale, partent en transhumance dans les montagnes cévenoles.
De forme circulaire, d’un diamètre pouvant atteindre plusieurs dizaines de mètres, la lavogne était aménagée dans une dépression naturelle, appelée doline, fréquente en milieu karstique. Le fond était parfois dallé de lauzes puis recouvert d’une couche d’argile pour en assurer l’étanchéité. La partie pentue et hors d’eau était parfois également dallée ou caladée pour faciliter l’approche des bêtes.
Les abris et cabanes en pierres sèches
Sur les parcelles cultivées en garrigues, situées souvent assez loin du village (jusqu’à plusieurs kilomètres), le défricheur pouvait avoir besoin de se protéger d’une averse ou se restaurer à l’abri du vent, ce qui nécessitait parfois la réalisation d’un abri.
Les abris sommaires
Les plus sommaires de ces constructions étaient constitués d’une large pierre plate fichée en haut d’un mur. D’autres, de forme arrondie, étaient inclus dans l’épaisseur d’un mur ou d’un clapas ; ne dépassant pas 1,50 mètre de hauteur, ils permettaient d’abriter un homme assis (guérite ou setadou).
Les cabanes couvertes par encorbellement
La construction des cabanes en pierres sèches nécessitait de maîtriser un certain savoir-faire, surtout pour réaliser un toit sans utiliser de charpente (le bois était rare, donc précieux et réservé à d’autres usages). La couverture était bâtie en encorbellement, c’est à dire à l’aide de dalles (lauses) disposées circulairement en rangées concentriques, la rangée supérieure dépassant légèrement la rangée inférieure. Au fur et à mesure de la pose des assises, le diamètre de l’ouverture se rétrécissait jusqu’à ce qu’une seule dalle, de quelques dizaines de centimètres, suffise à l’obstruer. La pente des assises d’une dizaine de degrés vers l’extérieur, assurait une bonne étanchéité à l’ouvrage.
Les portes
Les entrées des cabanes en pierres sèches sont généralement de faibles hauteur et largeur, dans un souci de ne pas affaiblir la résistance de l’ouvrage. Orientées de préférence vers le Levant, elles ne comportent pratiquement jamais de vantaux. Elles sont surmontées d’un linteau qui est constitué d’une simple dalle, épaisse et solide, parfois protégée du risque de rupture par un arc de décharge. Plus rarement, ce linteau peut être un arc clavé, ou carrément absent si les deux pieds de la porte étaient construits en encorbellement pour se rejoindre en forme d’ogive.
Les aménagements intérieurs
Les capitelles comportent parfois des aménagements intérieurs, comme des niches dans l’épaisseur du mur, des cuvons (petites citernes recueillant les eaux de pluies) creusés dans le rocher et, exceptionnellement, une cheminée. Quelquefois, des lucarnes sont prévues pour donner un peu de jour et permettre d’observer l’extérieur. Très rarement, sont construits des escaliers constitués de pierres fichées dans le parement extérieur, donnant accès au sommet de l’ouvrage.
Plans et formes des cabanes
Les cabanes sont construites, soit isolées dans un enclos, soit accolées ou incluses dans un mur ou un clapas. Les dessins de leur plan intérieur sont variés : ronds, carrés, rectangulaires, en forme de « U » ou indéfinis quand elles épousent le relief du terrain ; leur dimension intérieure est comprise entre 1 et 5 mètres, pour une hauteur pouvant atteindre 6 mètres.
Leur forme extérieure et interne en élévation est également très variable et cela pour plusieurs raisons : la nature du matériau utilisé, la quantité disponible de ce matériau, le plan de base choisi, la compétence du ou des bâtisseurs (autodidacte ou professionnel), son usage futur, l’envie (ou pas) de copier son voisin ! La construction peut être insérée ou accolée à un mur de clôture ou à un clapas, beaucoup plus rarement, isolée dans la parcelle.
C’est ainsi, qu’aucune capitelle n’est identique à une autre !
Les ouvrages plus élaborés
Les constructions simples, modestes par leur taille et leur forme architecturale, sont les plus nombreuses ; elles ont été érigées par les défricheurs à mains nues (sans échelle, planche, ni cordeau). Par contre, il est aussi possible d’observer des ouvrages de taille importante, plus finis, à la symétrie parfaite et au travail soigné. Ce sont des constructions réalisées, pour le compte du propriétaire de la parcelle, par un artisan spécialisé, utilisant les outils et le matériel adéquat.
Certaines capitelles sont composées de deux pièces, voire trois, de forme et de dimension différentes. Des études laissent à penser que, parfois, ces pièces ont été construites successivement, en fonction de l’évolution de l’usage de la parcelle.
Quand le matériau est abondant et de bonne qualité, les capitelles ne comportent qu’une seule pièce, mais d’une hauteur suffisamment conséquente pour construire un plancher en bois, à mi-hauteur, sous la voûte, constituant un véritable étage ; celui-ci, était utilisé comme « fenil », abri à foin et rameaux séchés pour nourrir l’âne ou le mulet quand il venait travailler à l’enclos. Si la parcelle était très éloignée de l’habitation et que les travaux devaient durer plusieurs jours, le rachalan pouvait y passer des nuits confortables.
De la capitelle au mazet
A Nîmes, à partir du début du XIXème siècle, au fur et à mesure que les conditions de vie des ouvriers et des classes populaires s'amélioraient, les citadins purent prétendre à une vie plus confortable et l’enclos en garrigue fut équipé d’une construction modeste, mais plus sophistiquée qu’une capitelle : le mazet. Avec le concours d’un maçon et suivant le montant de leurs économies, ils faisaient ériger une capitelle en pierres sèches spacieuse et aménagée ou, plus souvent, un petit cabanon rustique en pierres sèches ou en briques couvert de tuiles. L’eau captée depuis le toit était précieusement stockée dans une citerne. Quelques meubles dépareillés l’équipaient et, parfois même, une cheminée était aménagée. Une tonnelle assurait un peu d’ombre et quelques arbres d’agrément étaient plantés comme des lilas, des micocouliers, des arbres de Judée et, bien sûr les deux cyprès jumeaux de part et d’autre de l’entrée de l’enclos, en signe de bienvenue !
Le mazet était, en effet, le lieu idéal pour inviter la famille, les proches ou les amis à passer une journée au bon air, les dimanches et jours fériés. C’était l’occasion de déguster des plats composés de savoureux produits de la garrigue : salades sauvages, asperges, escargots, petits gibiers (accommodés de plantes aromatiques, d’olives et d’huile d’olives), confitures et fruits issus de l’enclos. Le tout était accompagné du petit vin râpeux et très coloré, rafraîchi à la source proche ou dans la citerne qui faisait la fierté du mazetier.
Dans la garrigue nîmoise on comptait 600 mazets en 1832, et plus de 4000 en 1932. A partir des années 1950, l’arrivée en garrigue de l’eau du Rhône, ainsi que le développement de l’automobile, contribuèrent à son urbanisation. Le mazet se transforme ou laisse la place à un pavillon résidentiel, d’abord dans les zones proches de la ville, puis de plus en plus loin.
Traduction d’un extrait d’un poème de Jean Reboul, poète Nîmois, « Ma capitelle ».
« Diriez vous que mon fils Césé
Voudrez la voir démolie
Pour mettre à sa place un maset
Orné de fenêtres bien peintes
Mon fils je ne voudrais pas te fâcher ;
La batisse serait plus belle
Mais que sert de te le cacher
J’aimerais mieux ma capitelle ! »
L’âge des capitelles et les inscriptions gravées
Déterminer l’âge précis d’une cabane en pierres sèches est impossible sauf pour celles construites ces dernières dizaines d’années. Quelques fouilles archéologiques ont été réalisées à l’intérieur de cabanes mais n’ont livré aucun résultat probant à part, quelquefois, des fragments de poterie datant du XIXème siècle.
La transcription des compoix de Nages, de 1548, atteste de l’utilisation de la pierre sèche : « une maison atenant basti a pierre essuita » et « 1 cabane petite de peires secas ». Plus tard, en 1662, allusion à un « chemin de las Cabanes» à « las conbes de las molles ».
Des actes notariés, consultables aux archives de Nîmes, mentionnent également la construction de capitelles « à pierre essuyte » au début du XVIIème siècle, sans préciser leur localisation. A Nîmes dans les compoix et les plans communaux de la fin du XVIIème siècle, on retrouve, parfois, l’existence de ce type de construction sur un croquis.
Dans la garrigue nîmoise encore, suite à la révocation de l’Édit de Nantes, les protestants devaient pratiquer leur culte, au « Désert », loin des lieux habités. Ces assemblées interdites étaient réprimées très sévèrement : souvent, après dénonciation les soldats du roi surgissaient pour arrêter « les Religionnaires » ; ces opérations faisaient l’objet de rapports de la part des officiers qui, outre la relation des faits, joignaient un plan du lieu du délit. Si l’assemblée s’était déroulée à proximité ou dans une capitelle, celle-ci était nommée et décrite ; elle apparaissait alors, dessinée sur le plan et, souvent, sa démolition était ordonnée sur le champ !
Tout cela atteste d’une certaine ancienneté de ce type de construction mais ne nous permet pas de dater précisément un bâti.
Dans certaines cabanes, la présence d’une date gravée (associée à un nom ou des initiales) sur la dalle sommitale de la voûte, sur la face plane d’un moellon ou sur le linteau de la porte, reste le seul moyen de donner un âge à un édifice, si l’on admet toutefois, que c’est bien le constructeur qui a signé et daté son oeuvre.
Les dates les plus fréquentes sont comprises entre 1800 et 1880 ; rares sont celles du XVIIIème siècle (la plus ancienne, datant de 1702, a été identifiée à Saint-Privat-de-Champclos).
Il est aussi possible de trouver des noms gravés, accompagnés d’un texte ; mais, il s’agit alors, le plus souvent, de l’oeuvre d’occupants occasionnels n’ayant rien à voir avec la construction de l’ouvrage !
En conclusion, les constructions, encore visibles en bon état de nos jours, n’ont pas plus de deux siècles d’âge ; et, eu égard à la fragilité des pierres écrues sensibles au gel et très friables, une capitelle plus ancienne sera réduite aujourd’hui en un clapas informe !
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