L’abandon des parcelles les plus éloignées des lieux d’habitation a commencé avec l’apparition du phylloxéra, insecte ravageur de la vigne, qui entraîna la quasi-destruction du vignoble entre 1860 et 1870. Cette déprise s’accéléra fortement durant la première guerre mondiale, par manque de bras, et se généralisera à partir du milieu du XXème siècle. Parallèlement, les troupeaux d’ovins se raréfièrent très fortement, entraînant une importante repousse de la végétation arbustive. Les anciennes parcelles devinrent de plus en plus impénétrables et sensibles aux incendies. La mécanisation des cultures a aussi été un facteur aggravant l’abandon des zones les plus difficilement accessibles. Quant au gel des oliviers, en 1956, il a scellé le sort définitif de bien des parcelles. Les garrigues deviennent alors un milieu délaissé où les constructions en pierres sèches disparaissaient peu à peu de la vue et de la mémoire des gens.
Au cours de ces décennies d’abandon, beaucoup de bâtis vont se dégrader, voire se réduire à des tas de pierres informes. La principale cause est la nature fragile des pierres qui se délitent, se brisent, phénomènes aggravés par de nombreux passages du feu. L’urbanisation de la garrigue, à proximité des grandes villes, va conduire à la destruction de nombreux ouvrages et au pillage des pierres comme les lauses de toiture. C’est également la création de déviations routières, de carrières et de zones commerciales ou artisanales qui va contribuer à la disparition d’espaces de garrigues, phénomène qui perdure de nos jours.
Une dynamique de restauration du patrimoine à la fin du XXème siècle
A partir des années 1980, des travaux d’infrastructures et des incendies vont mettre à découvert ces différents bâtis. Accompagnées par certains érudits et par des passionnés férus de garrigues, des associations et des collectivités territoriales vont oeuvrer pour préserver et mettre en valeur, pour le plus grand bonheur du public, ce fabuleux patrimoine oublié.
De nombreux passionnés se sont alors impliqués dans la restauration de ces édifices, retrouvant les gestes de leurs prédécesseurs.
Il faut bien distinguer restauration, reconstruction et construction, en laissant des écrits, documents, plans, photos, pour respecter la compréhension des générations futures.
On appelle « restauration » la remise en état d’un ouvrage suffisamment conservé pour qu’on ait la connaissance de sa taille, sa forme, ses aménagements et pouvoir le restituer à l’identique même s’il faut en reconstruire des parties importantes.
Si l’ouvrage est réduit à un tas de pierres, on pourra au mieux retrouver la base des murs et l’emplacement de la porte ; par contre, généralement, faute de documents ou de photos, on ne pourra pas le remonter dans sa forme originale mais en s’inspirant du style des constructions avoisinantes.
Il faut noter que certains passionnés ayant très bien assimilé la technique de la pierre sèche, réalisent des constructions nouvelles, devant être signalées comme telles !
La principale difficulté, pour mener à bien ces travaux, reste le manque de pierres récupérables sur le bâti détruit ; il faut donc utiliser alors un matériau provenant d’un lieu voisin, de même aspect et de même nature géologique.
Le renouveau de la construction à pierre sèche
Le mouvement de restauration du petit patrimoine engagé au cours du dernier quart du XXème siècle par quelques passionnés refusant de voir disparaître cette technique ancestrale se poursuit aujourd’hui partout dans le monde, en France, en Europe, en Asie, en Amérique… Depuis une vingtaine d’années il s’accompagne d’une véritable renaissance de la profession de bâtisseur à pierre sèche.
La formation de bâtisseur à pierre sèche
En France, des associations, des parcs naturels, des chambres des métiers, des écoles d’ingénieur, ont su sensibiliser, mobiliser, rassembler, travailler de concert dans une coopération exemplaire qui a permis de donner ses lettres de noblesse au métier de bâtisseur à pierre sèche en répondant à tous les standards de la construction contemporaine : formation professionnelle, garanties en terme d’assurance, calculs de résistance, règles de dimensionnement... La pierre sèche coche aujourd’hui toutes les cases de la construction moderne !
Ce travail exemplaire a notamment permis de créer deux formations professionnelles nationales, le Certificat de Qualification Professionnelle (CQP) de deuxième niveau d’« Ouvrier qualifié en pierre sèche », et le CQP de troisième niveau de « Compagnon professionnel en pierre sèche » dont sont issus chaque année de nouveaux professionnels capables de bâtir dans les règles de l’art. Ceux-ci se regroupent souvent en associations professionnelles nationales ou régionales : « Fédération française des professionnels de la pierre sèche », « Muraillers languedociens » dans l’Hérault, « Confrérie des bâtisseurs en pierres sèches » dans le Gard, « Artisans bâtisseurs en pierres sèches » en Lozère… Loin d’être cantonnés à la restauration du petit patrimoine agricole, ces professionnels interviennent également sur des constructions neuves : murs de soutènements routiers, aménagements paysagers, fondations d’habitations, land art, marketing territorial, etc.
Comme toujours, depuis la nuit des temps, la pierre sèche s’adapte à son époque et se découvre aujourd’hui de nouvelles expressions grâce à ses qualités exceptionnelles.
Les intérêts de construire à pierre sèche aujourd’hui
mécanique attestée par des travaux de recherche, mais aussi par des dizaines de milliers d’ouvrages qui structurent le paysage depuis des siècles ! Elle permet en outre une prévention efficace des risques de ruissellement et d’érosion en ralentissant les écoulements d’eau de pluie et en limitant leur pouvoir destructeur.
Elle offre de plus un bilan carbone incomparable et une simplicité absolue de recyclage en fin de vie, tout en constituant un biotope de choix pour de nombreuses espèces végétales ou animales, favorisant ainsi la biodiversité.
C’est enfin une source d’emplois non délocalisables permettant de faire vivre des artisans du territoire, mais également, d’accompagner, par le biais de « chantiers d’insertion », des personnes rencontrant des difficultés sociales, contribuant ainsi au développement économique et social du territoire.