Pierres sèches, témoins des usages
Auteur : Bruno Fadat
Date : novembre 2013
Si le territoire des garrigues gardoises et héraultaises est une vitrine pour ce patrimoine constitué de différents types de bâtis réalisés en pierres sèches, c’est-à-dire sans l’utilisation d’un liant, il le doit au travail des hommes. Ils ont oeuvré inlassablement, au cours des siècles, pour rendre un sol ingrat capable de recevoir des cultures adaptées au climat, principalement celle de la vigne et de l’olivier et permettre le pastoralisme.
Un savoir-faire millénaire
Des constructions en pierres sèches très anciennes et spectaculaires sont encore visibles comme les nombreux menhirs, dolmens, cromlechs, tombes (2 700 ans av. J.-C.), les villages du Chalcolithique (2200 ans av. J.-C.) tels ceux de Cambous, Fontbuisse, Conquette, Canteperdrix, le Rocher du Causse, Boussargues et les oppida * de l’Âge du Fer (800 ans av. J.-C.) tels Nages, la Roque de Viou, Roque- courbe, etc.À partir du Moyen Âge et suivant les variations de population dues aux épidémies et aux guerres, les enclos de pierres sèches vont apparaître témoignant de l’appropriation de parcelles qu’il fallait protéger des troupeaux.
A compter du milieu du XVII e siècle et jusqu’au XIX e siècle les constructions en pierres sèches vont se multiplier dans les garrigues en raison d’une population de plus en plus nombreuse mais toujours aussi pauvre qui va défricher les terres les plus ingrates et éloignées des villes et villages. Ces terres ne vont pas les nourrir totalement mais pour ces ouvriers agricoles (brassiers, rachalans), du textile (taffataïres) ou petits artisans elles fourniront un complément alimentaire (vin, huile, fruits, gibier, bois...) non négligeable.
Les pierres qui poussaient !
Sous les climats quaternaires glaciaires le gel a fait éclater la partie supérieure du socle rocheux calcaire ou gréseux en dalles, plaquettes ou blocs arrondis. Toutes ces pierres brisées en menus morceaux sur des sols pauvres en humus vont rendre laborieuse la mise en culture des parcelles. Après avoir extirpé les souches d’arbres et les racines, les défricheurs devaient dérocher et épierrer le sol. Ce travail très pénible nécessitait l’usage du pic et parfois de la barre à mine. La croyance populaire soutenait que les pierres poussaient ! En fait après les pluies la terre se tassant laissait apparaître de nouvelles pierres à éliminer. Quand la parcelle était suffisamment épierrée et mise en culture elle pouvait être travaillée à l’aide du “bigot”, genre de pioche à deux dents, particulièrement bien adaptée aux terrains caillouteux.Les différents types de bâtis
Les murs d’enclosLe premier travail à réaliser consistait à construire un mur autour de la parcelle pour délimiter sa propriété et se protéger des animaux. À cet effet les plus astucieux disposaient verticalement sur le faîte du mur des pierres plates pour empêcher le passage des ovins ou caprins. Dans la garrigue nîmoise qui s’étend sur 16 000 hectares il a été dénombré plus de 12 000 enclos représentant plus de 2 500 km de murs !
Les murs de soutènement
Sur les terrains en pente il était nécessaire de construire des murs de soutènement pour retenir les terres que les orages ne manqueraient pas d’emporter. Cela permettait, aussi, d’obtenir des parcelles planes plus faciles à cultiver et qui endiguaient l’érosion.
Les clapiers (ou clapas *) et chemin clapier
Comme il restait encore et toujours des pierres à évacuer, on construisait sur la partie la plus rocheuse de l’enclos un clapier, simple tas de pierres plus ou moins bâti régulièrement qui grossissait au fil des épierrements successifs. Quelquefois les pierres étaient jetées entre les murs de deux enclos voisins, séparés de quelques mètres, constituant un cheminement commun qui s’exhaussait au cours du temps.
Les chemins caladés
Des chemins caladés, c’est-à-dire constitués de pierres scellées dans le sol pour éviter le ravinement des eaux, ont été aménagés pour faciliter les déplacements des charrois en garrigue. Ils sont souvent bordés de deux murs et dans les endroits escarpés, élargis par un mur de soutènement.
Les escaliers
Quelquefois il était utile de construire des escaliers pour franchir un mur d’enclos ou accéder aux terrasses. Les plus rustiques sont constitués de pierres allongées dont l’une des extrémités est encastrée dans le mur. D’autres plus facilement praticables sont construits dans l’épaisseur du mur.
Les petits aménagements
Certains murs comportent des petites niches apparentes ou des caches beaucoup plus discrètes pour y déposer des outils et parfois aussi des armes ! Si la niche est de dimensions plus importantes (plusieurs dizaines de centimètres), elle peut servir d’abri pour une ruche (buc, brusc). Si le mur comporte plusieurs de ces niches on parlera de “mur à abeilles”. Parfois, à l’intérieur d’un clapas, était aménagée une garenne c’est-à-dire un réseau plus ou moins complexe de galeries, terriers artificiels pour les Lapins de garenne. Ils y étaient ensuite chassés à l’aide d’un furet.
Pour en apprendre plus sur les furets visitez https://elevagefuret.fr !
Les aménagements hydrauliques
Pour ralentir la vitesse des eaux de ruissellement et éviter le ravinement des terres (cavage), deux murs parallèles, appelés “murs bajoyers” étaient construits au fond des vallons, constituant un petit canal ou vallat. De grandes dalles pouvaient être dressées verticalement dans les parties courbes pour éviter la détérioration du mur par la force centrifuge du courant. Une ou plusieurs dalles épaisses soigneusement disposées reliant les murs bajoyers permettaient le franchissement du vallat. Les sources si précieuses en garrigue faisaient l’objet d’aménagement en pierres sèches plus ou moins complexes (murets, voûtes) pour les protéger et conserver leurs eaux.
Les tours
Les tours en pierres sèches qui se dressent dans nos garrigues sont les témoins de la vocation pastorale de ces terres arides : tours de guet et de surveillance du déplacement des troupeaux.
Les puits
Sur une veine d’eau ou dans une zone humide, après avoir creusé dans le sol un puits cylindrique, on construisait un mur en pierres sèches contre sa paroi intérieure et sur toute sa hauteur pour retenir les terres et ainsi le consolider.
Les pièges à loup
Ces pièges étaient construits sur le même principe que celui des puits, mais allant en se rétrécissant depuis la base vers l’ouverture, pour que l’animal ne puisse pas s’en échapper en sautant. Ils étaient creusés de quelques mètres de profondeur sur les passages empruntés régulièrement par ces prédateurs.
Un savoir-faire
Pour construire en pierres sèches il faut disposer et caler soigneusement les moellons les uns par rapport aux autres en évitant les “coups de sabre ; dresser obligatoirement les parements avant et arrière sans “ventre” avec un peu de “fruit”, reliés par des “boutisses”.
Pour construire en pierres sèches il faut disposer et caler soigneusement les moellons les uns par rapport aux autres en évitant les “coups de sabre ; dresser obligatoirement les parements avant et arrière sans “ventre” avec un peu de “fruit”, reliés par des “boutisses”.
Les abris, cabanes et capitelles
Les abrisLes enclos et parcelles étaient souvent éloignés des villes et villages, nécessitant parfois plusieurs heures de marche pour les atteindre. Il était donc bien utile de disposer sur place d’un refuge en cas d’averse, pour manger protégé du soleil ou des vents glacés, et qui permettait d’entreposer temporairement quelques outils.
Les abris les plus simples sont constitués d’une grande dalle encastrée en haut d’un mur ou d’un clapas. D’autres, de forme arrondie ne dépassant pas 1,50 m de hauteur et permettant d’abriter un homme assis (guérite, pastorelle, pastourette) étaient bâtis dans l’épaisseur d’un mur ou d’un clapas.
Les cabanes en pierres sèches
Les cabanes en pierres sèches sont l’aboutissement de la maîtrise des techniques et de l’art de la pierre sèche. Elles se caractérisent par leur voûte encorbellée constituée de dalles (lauses) disposées circulairement en assises concentriques, la rangée supérieure dépassant légèrement la rangée inférieure. La pente des assises d’une dizaine de degrés vers l’extérieur permettait aux eaux de pluie de s’écouler plus facilement.
Ces cabanes sont appelées parfois capitelles. Cette appellation d’origine nîmoise, attestée par des textes notariés du début du XVII e siècle, est de plus en plus adoptée dans l’ensemble de nos garrigues.
Les formes
Outre le fait que ces constructions peuvent être incluses dans un clapas, accolées à un mur ou isolées, elles sont de plans très variés. Si les formes circulaires et carrées sont fréquentes, des plans semi-circulaires, en U, ovoïdes, rectangulaires ou autres se rencontrent également.
Les portes
Les capitelles se distinguent aussi par leurs portes. Celles-ci sont généralement étroites et basses, de formes rectangulaires, trapézoïdales ou en ogive, surmontées d’un linteau souvent préservé de la rupture par la présence d’un arc de décharge constitué par une simple lucarne ou niche, deux lauzes posées en triangle ou un arc clavé.
Les aménagements intérieurs et inscriptions gravées
Certaines cabanes comportent des aménagements particuliers comme des lucarnes ou fenestroun, des niches pouvant servir de placards, des cuvons ou petites citernes, des bancs et beaucoup plus rarement des cheminées.
L’observateur averti pourra parfois découvrir une date gravée sur la dalle sommitale de la voûte, sur la face plane d’un moellon, sur une pierre de pied droit ou sur le linteau de la porte. Cette date est quelquefois accompagnée des initiales ou du nom de celui que l’on peut considérer comme le propriétaire ou le constructeur de la cabane. Quelles que soient les entités géographiques considérées, la majorité des dates gravées sont du début et du milieu du XIX e siècle, plus rarement du XVIII e siècle, jamais des siècles antérieurs.
Les cabanes évoluées
On rencontre parfois des constructions plus imposantes et plus évoluées, parfaitement symétriques au travail particulièrement bien fini et soigné comme dans le Sommiérois et l’Uzége. Elles sont l’œuvre d’artisans spécialisés qui, ayant leur propre mode de construction et zone d’action, vont donner une certaine unité de style aux formes extérieures : profil en forme de ruche, pain de sucre, bonnet ou cubes surmontés d’une tourelle ou à degrés.
Les constructions spéciales
Dans les garrigues de Marguerittes, Nîmes et Caveirac, et seulement là, on trouve des constructions très particulières (avec un plan de forme circulaire), appelées tines qui représentent 20% de l’ensemble des capitelles répertoriées. L’entrée très haute est fermée à sa base par une grande dalle posée de chant *. Les parois intérieures sur une hauteur d’un mètre environ ainsi que le sol sont enduits d’un mortier imperméable à base de terre glaise et de chaux. On obtient ainsi une cuve d’une capacité de quelques centaines de litres qui pouvait servir à entreposer les raisins et les olives, peut-être à y fabriquer le vin. Parfois la tine possède une entrée prolongée lui donnant une forme en trou de serrure, elle peut être aussi accolée à une capitelle traditionnelle.
De rares constructions comportent deux ou trois pièces, ou sont constituées de deux, voire trois cabanes, accolées et communicant entre elles (Blauzac, Nîmes, Bagnols-sur-Cèze). Rares également sont les “garennes”, capitelles fermées d’une porte, où débouchent des conduits au bas des murs (Saint-Come-et-Maruéjols).
Récupération des eaux
L’eau accessible en garrigue est très rare surtout en période sèche. Certains défricheurs astucieux ont construit des citernes pour conserver l’eau de pluie. Celles-ci étaient alimentées par des impluviums * constitués de clapiers en pente recouverts en surface de lauzes disposées en écailles de poissons. Quelquefois l’impluvium était constitué par la propre couverture en pierres sèches de la citerne. Les eaux de ruissellement pouvaient être également récupérées par une rigole creusée au bas d’une grande dalle rocheuse et conduite dans un réservoir creusé à même la roche et recouvert d’une voûte (aiguiers du Vaucluse).
La voûte clavée
La voûte clavée plus délicate à réaliser que la voûte à encorbellement est l’œuvre de maçons spécialisés. Elle consiste à déposer des daleaux bien réguliers sur un support en bois de forme demi-cylindrique. Les pierres doivent être orientées vers le centre du demi-cercle, la pierre supérieure formant la clé de voûte. Quand on enlève le cintre, les daleaux se mettent en place et se bloquent sous l’effet de leur poids. Ce genre de voûte clavée, très solide, peut soutenir une toiture de lauzes, servir de linteau à une capitelle ou de pont au-dessus d’un ruisseau.
La voûte clavée plus délicate à réaliser que la voûte à encorbellement est l’œuvre de maçons spécialisés. Elle consiste à déposer des daleaux bien réguliers sur un support en bois de forme demi-cylindrique. Les pierres doivent être orientées vers le centre du demi-cercle, la pierre supérieure formant la clé de voûte. Quand on enlève le cintre, les daleaux se mettent en place et se bloquent sous l’effet de leur poids. Ce genre de voûte clavée, très solide, peut soutenir une toiture de lauzes, servir de linteau à une capitelle ou de pont au-dessus d’un ruisseau.
Abandon et renouveau
L’abandon de l’exploitation des terres pauvres et éloignées des habitations va débuter avec l’apparition du phylloxéra qui va dévaster le vignoble, s’accélérer après la première guerre mondiale par manque de bras et se généraliser à partir du milieu du XX e siècle. Le patrimoine en pierres sèches rapidement envahi par une végétation dense va être complètement oublié. Pour la population, la garrigue ne représente plus qu’un espace de fourrés impénétrables, hostile et sans intérêt que seuls les chasseurs parcourent et que les incendies ravagent.Dans les décennies 1970 - 1990 l’urbanisation, les travaux routiers, les incendies vont remettre au jour une partie de ce patrimoine négligé. Quelques passionnés et associations vont alors œuvrer pour le faire connaître au public. L’engouement de celui-ci sera tel qu’un peu partout de nombreuses associations et des décideurs vont s’atteler au recensement et à la restauration de sites où les constructions en pierres sèches sont présentes, comme à Nîmes, Bernis, Marguerittes, Aubais, Blauzac, Langlade, Villevieille, Uzès...
Ces actions de revalorisation de la garrigue perdurent et se multiplient. Si le patrimoine en pierres sèches nous rappelle notre passé il représente aussi un enjeu important pour l’avenir de nos sociétés très urbanisées car il possède de multiples valeurs écologiques, économiques, pédagogiques et culturelles.
L’ouverture des milieux nécessaire à la mise en valeur du patrimoine en pierres sèches va permettre de limiter les risques d’incendie, favoriser le développement de nombreuses espèces animales et végétales. La présence de murets et terrasses évite l’érosion des terres et permet la rétention de l’eau qui alimentera les sources. La création de vignobles, la régénération d’olivettes et l’installation de troupeaux ne sont plus chose rare.
Aujourd’hui en France et particulièrement en Languedoc le développement de l’industrie touristique est une solution à la disparition des autres industries et de leurs emplois associés.
Le patrimoine en pierres sèches constitue l’entrée idéale pour la découverte de nos garrigues : leur histoire, les curiosités et la richesse de la flore, la diversité de la faune, la beauté de ses paysages, la qualité de ses productions (vins, olives et huiles, miel, élevage caprin et ovin) sa capacité à attirer les sportifs (équitation, VTT, varappe, spéléologie ...) et les artistes (peintres, photographes, écrivains, poètes, sculpteurs, cuisiniers, parfumeurs, troupes théâtrales), ses curiosités géologiques...
Le patrimoine en pierres sèches témoin du dur labeur des hommes d’autrefois qui ont façonné la garrigue, va-t-il devenir celui des loisirs des hommes d’aujourd’hui et de demain...?
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